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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

L’indifférence que lui ont témoignée toutes les catégories de lecteurs n’a donc été jusqu’à un certain point que justice, car, ayant beaucoup reçu de la nature, il a beaucoup promis, et n’a donné à personne ce que chacun avait le droit d’attendre. Il ne nous paraît pas être de ceux que la postérité relève du jugement des contemporains ; il ne vivra probablement pas. Cependant, à cause des vices même qui l’empêcheront de vivre, autant que pour les qualités qui devaient le rendre durable, nous comprendrons très bien que chacune des générations qui se succéderont lui apporte en contingent son lecteur unique, quelque esprit curieux, singulier, enthousiaste, qui lui sera non seulement un lecteur, non seulement un admirateur, mais un amant follement épris, passionné, jaloux. Il sera aimé pour ce qu’il y a de vrai dans sa nature et dans son intelligence, et pour ce qu’on y devra admirer ; il sera adoré pour ce qu’il y a mis de faux et pour ce qu’on aurait à lui pardonner, car c’est ainsi que va l’amour. Tout ce que peut dire aujourd’hui de M. Beyle un juge impartial, c’est qu’il a été moins paradoxal qu’on ne l’a voulu prétendre, moins vrai que lui-même n’y a prétendu.


Auguste Bussière.