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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

cette antipathie déclarée, ce n’est pas à lui que pourrait s’appliquer un mot de mépris que contient cette strophe d’un poète contemporain :

J’aime surtout les vers, cette langue immortelle ;
C’est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas,
Mais je l’aime à la rage ; elle a cela pour elle
Que les sots d’aucun temps n’en ont pu faire cas,
Qu’elle nous vient de Dieu, qu’elle est limpide et belle,
Que le monde l’entend et ne la parle pas.

Jamais en effet, avec plus de sens, de raison et de mesure, M. de Stendhal n’a eu plus de légèreté, d’acuité, de malice, d’esprit, dans toute la force du mot, que dans ces deux brochures, l’une de 1823, l’autre de 1825, où il attaque l’alexandrin tragique. Et à vrai dire, en lisant M. de Stendhal, il m’est venu souvent une pensée dont je commence par demander pardon, c’est que sept ou huit de nos écrivains, réputés par excellence hommes d’esprit, et comme tels en possession de la plus grande faveur et du succès le plus déclaré, pleins d’agrément d’ailleurs, et justifiant par là leur bonne fortune, ne sont point réellement des hommes d’esprit, mais tout simplement des hommes d’imagination. Ils arrivent à l’effet en outrant certains aspects des choses, en brisant certaines proportions, certains rapports, et en présentant ainsi tout à coup les objets sous une image neuve et inaccoutumée ; ils isolent ce qui veut être uni, il rapprochent dans un contraste deux termes peu destinés à se faire contraste, et le plaisir de la surprise en jaillit. Mais c’est l’imagination qui crée cette fantasmagorie. J’appelle esprit une dose indéfinie de bon sens et d’observation, assaisonnée d’une dose égale de logique sous-entendue. Avoir de l’esprit, c’est arriver tout droit et brusquement au résultat final et jusque-là inaperçu, quoique juste, d’une combinaison d’idées. J’ai grand’peur qu’il ne reste plus un homme d’esprit, dans le sens pur de la tradition française, parmi nos écrivains de profession. M. de Stendhal a été tout-à-fait un homme d’esprit, malgré qu’il en ait, et bien dans le prolongement de la grande lignée française.

Cette question du romantisme, dont il s’est emparé en maître dans Racine et Shakspeare, a été aussi traitée par lui dans l’ancien Globe en quelques articles sur les unités. Parmi les hommes distingués dont il est devenu le collaborateur, il s’en trouvait un qui a été en quel-