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surtout sans fiel. Les républicains d’Amérique adorent trop le dieu dollar ; il n’y a d’amour qu’en Italie.

Dans cet ouvrage, il y a des définitions remarquables et qui dénotent une rare précision d’esprit : « La beauté est une promesse de bonheur — Le caractère est la manière habituelle de chercher le bonheur. — La cruauté est une sympathie souffrante. — Le rire est l’effet produit par la vue subite d’une supériorité que nous avons sur autrui. » Dans un autre ouvrage, il ajoute à cette dernière pensée, déjà exprimée par Hobbes, que le sourire est produit par la vue du bonheur ; puis il dit : « Le rire domine en France, le sourire en Lombardie. » Il y a encore quelques pensées comme les suivantes : « Le ridicule résulte de la méprise de l’homme qui se trompe sur les moyens d’arriver au bonheur. — Le génie est un pouvoir, mais il est encore plus un flambeau pour découvrir le grand art d’être heureux. — Le pouvoir n’est le premier des bonheurs après l’amour, que parce que l’on croit être en état de commander la sympathie. » On voit qu’il ramène tout à l’idée du bonheur, idée qui préside à tous ses écrits (soit qu’ils aient pour objet d’en chercher le moyen, soit qu’ils veuillent le montrer atteint ou manqué par des héros d’une action fictive), et que pour lui, le bonheur réside essentiellement dans l’amour, dans l’action des facultés sympathiques de l’homme. Il donne au génie, du moins en tant qu’il s’applique aux beaux-arts, la même source qu’au bonheur.

L’écrit auquel M. de Stendhal paraît avoir attaché le plus d’importance, et peut-être l’espoir de quelque renommée, celui où il a mis le plus de soin, d’ordre et de sérieux, celui qu’il a recopié dix-sept fois, l’Histoire de la Peinture en Italie, n’est point un ouvrage terminé. On disait, à la vérité, il y a déjà plusieurs années, que l’auteur en avait deux volumes manuscrits en portefeuille. M. de Stendhal, dans cet ouvrage favori, semble avoir perdu, comme l’ame tendre auprès de sa maîtresse, l’assurance, la pointe de témérité qui lui fait affecter dans les autres des formes inusitées. L’ombre de Montesquieu traînait déjà çà et là dans le livre de l’Amour ; dans l’Histoire de la Peinture, ce n’est plus son ombre seulement, c’est son trait et parfois sa couleur. Indépendamment de ses théories générales sur les climats et les gouvernemens, il y a dans la division et la marche de l’ouvrage, dans la coupe des chapitres et dans la distribution des idées, l’empreinte manifeste de sa méthode et des procédés de son esprit. Ces deux esprits si français avaient d’ailleurs entre