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ces indices, qui ne sont souvent qu’une plaisanterie ou une petite affectation. Quoi qu’il en soit, nous retrouvons ici les habitudes d’esprit du disciple de Cabanis, avec toute la maussaderie, mais aussi avec toute l’exactitude de la science. Il étudie l’amour exactement à la manière des physiologistes analysant une fonction de l’organisme humain. Cette méthode appliquée à ce sujet est probablement ce qu’il y a de plus nouveau dans l’ouvrage, comme aussi le mot ingénieux de cristallisation, dont l’auteur a su tirer un parti plus ingénieux encore.

Le second volume, bien qu’il ne se rattache pas nécessairement au sujet, me paraît être bien plus important que le premier dans l’histoire des idées de l’auteur. Ici en effet M. de Stendhal n’est plus seulement un anatomiste disséquant avec plus ou moins de dextérité une portion de la machine sensible qui s’appelle l’homme, il devient un moraliste, et par ce mot nous entendons qu’il applique à la science pratique de la vie les déductions tirées d’un certain ordre de faits qu’il a observés. Or, en cela, M. de Stendhal n’est plus lui-même, ou du moins il ne l’est qu’à l’ombre de Montesquieu. C’est la théorie des climats et des formes de gouvernemens, l’antinomie de l’honneur et de la vertu, appliquées non plus à la politique, mais à l’amour. M. de Stendhal examine historiquement cette passion chez différens peuples, situés sous différentes latitudes, et régis par des principes différens. Il attaque l’honneur, vil mélange de vanité et de courage, né de l’idée singulière qu’eurent certains hommes (c’est la chevalerie qu’il désigne) de faire les femmes juges du mérite. « Depuis 1789, dit-il, les évènemens combattent en faveur de l’utile ou de la sensation individuelle contre l’honneur ou l’empire de l’opinion ; le spectacle des chambres apprend à tout discuter, même la plaisanterie. La nation devient sérieuse, la galanterie perd du terrain. » Mais si, d’après lui, les chambres nous font gagner ce point, les chambres, d’après lui-même encore, ôtent aux femmes une grande partie de leur importance dans l’existence de l’homme ; si la monarchie dénature l’amour, la république l’abolit. Reste donc l’influence unique des climats. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que, sur cette question plus que sur aucune autre, il se fait Italien. Dans ce pays la passion parle seule, et l’opinion n’est rien. L’idée de M. de Stendhal, assez neuve, ce nous semble, nous paraît d’ailleurs assez juste ; on n’aura de grands caractères qu’à la condition du mépris de l’opinion et de sa fille aînée, la crainte du ridicule. Cette crainte est la lâcheté de bien des grands courages. En ce qui concerne les