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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

assez au sérieux pour ne pas se ménager sur les sacrifices qu’ils imposent.

C’est là l’homme qui, à l’imitation de Byron, s’amuse à dire d’un petit air impertinent, et pour narguer la pruderie d’autrui : « Moi qui suis immoral ! » C’est là aussi cette ame gangrénée par le paradoxe !

Nous reprochera-t-on de lui faire honneur, à lui exclusivement, de la pureté de cette liaison qu’il a si pieusement cultivée ? Nous déclinerions le combat, nous nous retrancherions au besoin derrière l’autorité de La Bruyère, qui a dit : « La plupart des femmes n’ont guère de principes, elles se conduisent par le cœur (nous dirions plus volontiers par les humeurs), et dépendent, pour leurs mœurs, de ceux qu’elles aiment. »

III.

Si nous ne l’avions dit déjà, ce serait ici le lieu de déclarer hautement que M. de Stendhal, à prendre le mot dans un sens strictement littéraire, n’est pas un écrivain. Lui-même l’a senti, lui-même l’a voulu, lui-même l’a déclaré vingt fois. Nous avons cité à ce propos quelques exemples, et l’on a vu, entre autres, le passage où il avoue s’être fait écrivain pour avoir vendu ses chevaux en mai 1814. À la rigueur, ceci n’est point vrai et n’a été écrit que pour amener en parenthèse ce léger trait décoché à la restauration : mai 1814. Cette date lui tient fort au cœur, il y revient souvent, et il termine par exemple son volume de Rome, Naples et Florence, par cette note : « L’auteur, qui n’est plus Français depuis 1814, est à un service étranger. » C’est là sa manière de faire des épigrammes politiques ; mais il a assez d’esprit et de perspicacité pour savoir qu’il n’est que vrai lorsqu’il déclare, même ironiquement, qu’il regrette bien de n’avoir pas de talent littéraire. Il s’estime d’ailleurs assez pour être convaincu qu’il a un talent bien supérieur à celui-là, celui de voir et de raisonner juste. Aussi, ce n’est pas de sa modestie que nous voulons lui faire honneur. Il a poussé aussi loin que personne l’art de trouver le mot qui va au fond des choses, le tour qui rend avec le plus de vivacité, de netteté, de lumière, sa pensée et l’intention particulière qu’il a pu y ajouter. En ce sens, on peut dire qu’il a découvert des ressources, des finesses nouvelles dans la langue, qu’il lui a imprimé son cachet, et qu’il a une manière bien à lui. Toute-