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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

sonores et les solitudes mélodieuses ; que les forêts chantent elles-mêmes le consul, si elles en sont dignes.

M. Daru avait fait ajouter au grand sabre les galons de maréchal-des-logis ; ils eurent l’honneur de recevoir le baptême du feu à Marengo. Plus tard, quand M. de Stendhal voudra donner une idée du bonheur, il dira : « Il est inutile de définir le bonheur, tout le monde le connaît, par exemple, la première perdrix que l’on tue à douze ans, la première bataille d’où l’on sort sain et sauf à dix-sept. » Ce tout le monde le connaît, à propos du bonheur dont il parle, a un petit air de mot échappé qui en fait un trait charmant. Tout le monde le connaît, comme tout le monde écrit cela avec deux ll. C’est là un détour adroit et de bon goût, qui est devenu familier à M. de Stendhal pour éviter de dire je et pour se mettre en scène sans trop en avoir l’air. Il y a eu surtout un moment dans sa vie, quand il écrivait son livre de l’Amour, par exemple, où il aimait à laisser traîner dans ses écrits le bout du grand sabre, qui ne sonnait plus depuis long-temps sur le pavé : il en avait comme gardé la dragonne attachée à sa plume. Dans ce livre, le lecteur a nécessairement des épaulettes, il est en campagne ou en garnison ; on lui parle de son colonel. On ne suppose pas un instant qu’il puisse porter un simple frac bourgeois, comme celui de l’auteur.

La carrière militaire de M. Beyle ne fut pas bien longue. Du 6e régiment de dragons, où il était devenu sous-lieutenant, il passa, après un an de service, dans l’état-major du général de division Michaud ; mais, le grade de lieutenant étant exigé pour les fonctions d’aide-de-camp, il se vit bientôt obligé de retourner à ses dragons. Après deux nouvelles années, M. Beyle s’ennuya du service, et, la petite paix de 1803 survenant, il saisit cette occasion honorable de donner sa démission. Il avait vingt ans. Malgré cette extrême jeunesse et les diversions brillantes en ce temps-là de la vie militaire, il observait déjà, et son esprit paraissait tourné aux idées qui depuis en ont occupé toute l’activité. On trouve dans l’Amour plusieurs anecdotes qui lui sont fournies par les observations et les souvenirs de ce premier séjour en Italie. Mais ces anecdotes sont-elles vraies ? C’est une question qu’il faut souvent se faire avec lui quand on a quelque raison de tenir à la réalité des faits. Il n’aimait point à peindre autrement que par l’action même ; il trouvait vague tout ce qui ne s’exprimait que par des mots emportant une signification générale. Il dit quelque part : «… Je conterais trente anecdotes et je supprimerais toutes les idées générales sur les mœurs. Tout ce qui