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veilleusement concouru à lui amener tout ce dont il allait avoir besoin dans celui-ci.

II.

Né à Grenoble, le 23 janvier 1783, Henri Beyle annonça tout d’abord cette vivacité d’intelligence qui a valu tant d’hommes distingués au pays qui l’a vu naître. Dès sa quatorzième année, il terminait son cours de belles-lettres par un dernier succès dont on ne trouverait peut-être pas deux exemples dans les annales universitaires ; tous ses camarades renonçaient à la lutte, et lui abandonnaient la palme avant le combat. Ce feu précoce de l’esprit explique sans doute le peu d’attention qu’il donnait alors et qu’il a donné même par la suite soit à la correction du langage, soit à l’orthographe. Au temps de ses triomphes, il écrivait cela avec deux ll. Nous marquons ce détail, parce que lui-même en a consigné le souvenir dans son roman de le Rouge et le Noir, en prêtant la même faute à son héros, Julien Sorel. Nul romancier, pour le dire en passant, n’a d’ailleurs été plus personnel que lui.

De 97 à 99, il étudia les mathématiques. Son père voulait le faire entrer à l’École Polytechnique, qui se fondait alors. Il feignit de se prêter aux vues paternelles ; mais il avait une passion vraie ou artificielle, celle de la musique : à cette époque, il se croyait appelé à exprimer par des sons ce qu’il avait dans l’ame. C’était une confidence qu’il se gardait bien de faire à son père ; seulement, comme ses a + b le mettaient sur le chemin de Paris, où il voulait arriver pour l’amour de la musique, il s’accommodait de son mieux aux vues qu’on avait sur lui. Cette étude des mathématiques, il n’en faut pas douter, lui a été d’une utilité qu’il ne prévoyait apparemment pas alors : il y a pris, en partie du moins, les habitudes d’esprit auxquelles il doit cette analyse exacte et pénétrante, cette netteté d’idées qui sont certainement la partie la moins contestable de son talent. C’est aussi à cette étude qu’il a dû de voir enfin Paris, et cela dans un beau moment, le lendemain même du 18 brumaire. C’était peu le temps de pâlir sur des intégrales, et peu aussi le temps de chanter, si ce n’est le Chant du Départ. Le jeune Beyle était recommandé à M. le comte Daru, son parent. Cette protection ne tarda pas à lui faire sentir ses effets. On lui retira des mains ses livres et sa craie ; on les lui échangea contre un grand sabre. Adieu les rêves