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d’insulter à toute certitude, à leur propre intelligence, et appliqueraient le masque du sophisme sur la face même de la vérité. C’est là sans doute ce que l’on appelle une plume à paradoxes ; mais auquel de ces traits reconnaître M. de Stendhal ?

Il faut se bien convaincre d’abord que l’auteur de le Rouge et le Noir, des Promenades dans Rome, de l’Histoire de la peinture en Italie, de la Vie de Rossini, n’a visé ni à la gloire du romancier, ni à celle du voyageur ou du critique, ni à celle de l’historien, ni même, quoique sa manière d’écrire soit tout épisodique et anecdotique, à celle du biographe. L’histoire, le roman, le voyage, la biographie, ont été tour à tour le cadre dans lequel il a fait entrer l’objet unique et constant de sa pensée. Cet objet, c’est la science de l’homme, puis l’objet immédiat de cette science primordiale, la science du bonheur. Il n’y avait donc qu’une gloire pour lui, celle de voir juste et de déduire rigoureusement. Il a dit et répété de vingt manières que tout bon esprit commence par se faire une bonne logique, un art à lui de raisonner juste : tel a été en effet son grand travail préalable sur lui-même. Aussi, a-t-il affecté plus que de l’insouciance à l’égard de toutes les autres parties de l’écrivain, afin de faire mieux ressortir ce qu’il croyait avoir d’excellent dans celle-ci. Il semblerait qu’il laissât au hasard le soin de composer ses livres et retirât à la grammaire tout droit sur l’arrangement de ses phrases. Ajoutons qu’à la vérité, s’il paraît avoir peu étudié la langue sous le point de vue de la correction, il en a étudié profondément le génie et combiné les ressources quant aux effets qu’il en veut tirer le plus habituellement. Quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins un écrivain négligé, et il n’est que vrai lorsqu’il dit : « Quant à moi, j’aime mieux encourir le reproche d’avoir un style heurté que celui d’être vide ; » ou encore : « J’écris comme on fume un cigare ; une page qui m’a amusé à l’écrire est toujours bonne pour moi. » Mais dans ces phrases même, où il confesse et montre peut-être sa négligence, nous retrouvons ce qui le caractérise bien autrement, son horreur pour le vide. En effet, M. Beyle est essentiellement un penseur ; l’art de penser a été le but de toute son activité intellectuelle ; l’art de faire penser est le principe de sa manière d’écrire ; et comme l’objet unique de ses pensées a été une science d’observation, toutes ses visées, toute son ambition, toute sa gloire, tout le fruit de sa vie, sont restés attachés au renom d’observateur pénétrant et de logicien rigoureux. Un seul paradoxe jeté là-dedans de