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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

verdure d’une récolte, espérance des laboureurs, sont dans une seule nuit tondus au ras de la terre, et le berger dépouillé est contraint d’aller ailleurs chercher le pâturage pour son troupeau, jusqu’à ce que les nuées bienfaisantes, chargées de tonnerre, fassent renaître la végétation sur ce sol brûlé. » Cette dernière phrase rappelle les vers d’un poète hindou sur les pluies désirées de la mousson ; c’est un souvenir de l’Inde qui perce dans le récit du capitaine Harris.

Avant de quitter la frontière (un peu fictive) de la colonie, la caravane fit halte chez le field-commandant, vieux Hollandais de l’ancienne race, dont la naïveté un peu lourde, les manières surannées, divertirent les deux Anglais. C’était cependant une famille digne de figurer parmi celles que les anciens maîtres flamands nous ont léguées, les enfans debout derrière le père, le père gravement assis dans un grand fauteuil de cuir.

Le Nu-Gareep River (l’un des deux principaux bras du Great Orange River) borne la colonie de ce côté, c’est-à-dire vers le nord ; au-delà s’étend le pays des Bushmans, que la civilisation a fait reculer et chasse encore chaque jour. « Maudits parmi les peuples de la terre, ils sont ennemis de tous les hommes, et tous les hommes sont leurs ennemis ; ne vivant que de chasse ou des dons spontanés de la nature, ils partagent le désert avec l’oiseau de proie et la bête féroce, au-dessus desquels ils ne s’élèvent que d’un degré. »

Ici commencent les plaines unies, arides, jaunâtres, tachetées çà et là d’un buisson noir et mal venant ; sur la terre, une rare autruche ; sous le ciel, un vautour solitaire ; partout la stérilité. Dans cette solitude, les chariots semblaient ramper l’un après l’autre ; pas plus d’écho qu’au grand désert de Suez ; une mer solide couleur des nuages sous un ciel bleu couleur des flots calmés. Les jours étaient brûlans, les nuits glaciales ; le mirage fatiguait les yeux, un froid piquant engourdissait le corps. Mais au milieu d’une pareille monotonie de souffrances successives et régulières, les grands évènemens du voyage apportaient leur distraction. Tantôt c’était la rencontre d’une saline abandonnée, vers laquelle hommes et bêtes se ruaient avidement, croyant arriver au bord d’un lac ; tantôt le passage de la rivière Orange, qui roule ses eaux transparentes, larges et profondes, entre les saules pleureurs qui baignent leurs branches flexibles dans les flots nuancés des rayons du couchant ; tantôt enfin le divertissant spectacle d’une troupe de Griquas forçant l’autruche à pied. Ces Griquas, au milieu desquels est établie une mission, sont des Hottentots mulâtres ; leur armée entière, moins deux hommes, fut en 1831 anéantie par Moselekatse. C’est presque une race de pygmées, qui