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avaient des terres à labourer. « Il était facile de lire sur les traits de tous qu’ils demeuraient pleinement convaincus que deux pauvres Indian gentlemen sans expérience du pays ne pourraient jamais accomplir, au milieu des nations sauvages de l’Afrique méridionale, une si longue et si périlleuse expédition. »

À peine à quelques lieues sur la route du village de Graaff-Reinet, Andries avait déjà embarrassé son chariot dans des buissons, d’où l’on ne put le tirer qu’à l’aide des haches. Un autre conducteur avait volé un cheval ; l’homme fut mis en prison, mais la bête ne fut pas retrouvée ; il fallut pour la remplacer prendre au hasard un Hottentot qui se chauffait au soleil sur la route.

Le pays était monotone, inculte, moins coupé de ruisseaux, moins accidenté, couvert de plus en plus d’une épaisse forêt de petits arbres nommés speck-boom par les Hollandais. On reconnaît l’Afrique aride et nue hors de la portée des grands fleuves, on sent déjà le désert à ces mots du récit : « Fait l’un dans l’autre dix lieues par jour, passé deux fois la nuit sans eau pour les bœufs ; rencontré des troupes de gazelles ; tué trois de ces jolies petites bêtes. » À Somerset, bourgade anglaise d’environ vingt-cinq feux, les voyageurs essayèrent en vain de louer un troisième wagon qui, après avoir amené une cargaison d’oranges, retournait à vide près de Graaff-Reinet ; le manque de nourriture avait mis les bœufs presque hors de service ; heureusement aussi la contrée devenait plus praticable. Enfin, après avoir passé deux jours à chercher les attelages, qu’un Hollandais malin s’était plu à cacher, après avoir presque noyé un cheval dans le sable mouvant de Little-Fish-River, vu mourir un beau chien par la rupture d’une veine, traversé à grand’peine et trois fois de suite le Sunday-River, et parcouru soixante-quatre lieues depuis Graham’s-Town, la petite troupe fit halte à Graaff-Reinet, dernière station avant de pénétrer dans l’intérieur.

Ce village, extrême frontière des établissemens hollandais, est décrit par le capitaine Harris comme un endroit délicieux. Encadré dans des montagnes couvertes de verdure, enlacé dans les replis du Sunday-River, dont les bords sont plantés de saules, d’acacias chargés de lianes à fleur blanche, ce petit hameau charmant se cache au milieu de jardins et de vignes comparables aux vergers de la Provence. Les avantages de cette position n’empêchèrent pas la neige de couvrir la terre et les citronniers de Graaff-Reinet pendant le séjour des deux indian gentlemen, dont cette nouveauté réjouit les regards. Au reste, ces frimas du nord font mieux ressortir la richesse