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Parti de Bombay le 16 mai 1836, le capitaine Harris mouillait à Simon’s-Bay, près du Cap, le 31 du même mois. Il laissait derrière lui les maladies que l’été apporte avec la mousson sur la côte de Malabar, et courait dans l’hémisphère austral au-devant de l’hiver, comme nous irions demander un peu de soleil aux rives de la Méditerranée. Son projet, auquel venait de s’associer un ami, M. Richardson, était de pousser une reconnaissance au-delà des lieux habités, d’aller attaquer jusque dans leurs déserts, et même sur les terres des sauvages les plus redoutés, les plus grands animaux de l’Afrique. Au Cap, le premier soin des deux voyageurs fut donc de visiter les enfans des missionnaires protestans établis au milieu de ces populations idolâtres, de faire confectionner pour le plus puissant roi de ces nations inconnues un vêtement digne, par la bizarrerie de sa forme et la grotesque profusion des ornemens, de flatter l’amour-propre, le goût d’un despote africain ; enfin, de recueillir une abondante provision de verroteries, de colliers, de colifichets adaptés au goût et aux besoins des naturels, avec lesquels on ne peut commercer que par échange. Le capitaine Harris avait apporté de l’Inde sa tente, son camp furniture, et surtout de la poudre, ainsi que d’excellentes carabines. Tout cela fut mis à bord d’une goélette faisant voile pour Algoa-Bay.

Port Élisabeth, situé au fond de cette baie ouverte à tous les vents, est une petite ville de deux cents maisons au plus, qui fait face à la mer et s’adosse à de beaux champs de blé et d’orge. Là, les voyageurs passèrent une semaine à se procurer des montures et des attelages, devenus fort rares par suite de l’irruption des Kafres sur les terres de la colonie. Enfin, ils partirent pour Graham’s-Town, avec deux maigres chevaux et deux chariots immenses (l’un pour les hommes, l’autre pour les bagages), longs de dix-sept pieds, attelés chacun de douze bœufs, que les colons dirigeaient, à l’aide d’un fouet démesuré, avec une adresse dont on ne peut avoir aucune idée, à moins que, débarquant aux mêmes latitudes, dans les plaines de l’Amérique méridionale, on ne rencontre les bouviers de Tucuman et leurs caravanes de chariots échelonnés dans la Pampa. Déjà il fallait camper au milieu des aloès en fleur, traverser un pays désolé, çà et là semé de fermes sans maîtres pillées par les Kafres. Bientôt on gravit la montagne Zwartcop en mettant double attelage sur chaque wagon. Deux ou trois autruches et autant de gazelles se montraient à l’horizon pour soutenir le courage et ramener l’espérance des chasseurs. Il gelait la nuit ; le thermomètre, au lever du