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DU DROIT DE VISITE.

hommes, en blessa un plus grand nombre, et la contraignit d’amener son pavillon. Les Anglais, étant montés à bord de la Chesapeake, en enlevèrent quatre hommes qu’ils dirent leur appartenir, en pendirent un, comme déserteur, aux vergues de leur vaisseau, et laissèrent la frégate libre d’aller faire réparer ses avaries.

Cet affront, le plus sanglant qu’eussent encore reçu les États-Unis, excita dans toute la confédération l’indignation la plus vive. On appela de toutes parts la guerre. Le président publia une proclamation annonçant qu’elle serait déclarée, si une réparation éclatante n’était accordée immédiatement par le gouvernement britannique, et, en attendant, il interdit aux bâtimens de guerre anglais l’entrée des ports des États-Unis, même la navigation dans leurs eaux, et ordonna de mettre les côtes-en état de défense[1].

Le congrès, extraordinairement convoqué, alla plus loin. Frappé du nombre considérable de bâtimens américains déjà confisqués par l’Angleterre et par la France, il craignit que les États-Unis ne perdissent tout leur matériel naval, et ne fussent ainsi hors d’état, dans des temps meilleurs, de reprendre leur commerce. Cette crainte lui inspira une résolution extraordinaire, celle de renoncer jusqu’à nouvel ordre à toute navigation. Il rendit le bill d’embargo par lequel défense était faite aux bâtimens de commerce américains de sortir de leurs ports ; son espoir était que cette interdiction complète de tous rapports entre l’Europe et l’Amérique causerait à l’Angleterre et à la France des embarras qui les contraindraient à modifier leurs mesures. Mais il aurait fallu, pour cela, que l’interdiction eût une certaine durée, et quand vint, à la session suivante, le moment de renouveler le bill, il rencontra la plus vive opposition. Les états du nord et ceux du sud, ordinairement divisés d’opinion, furent d’accord pour se plaindre d’une mesure qui empêchait les uns de naviguer, les autres de vendre leurs produits. « Que nous sert, dirent les premiers, de conserver nos vaisseaux, si c’est pour qu’ils pourrissent dans les ports ? Quelques-uns, du moins, échappaient aux croisières anglaises, et la vente, à un prix plus élevé, de leurs cargaisons nous dédommageait de la perte des autres. Qui nous donnera maintenant les moyens d’entretenir nos navires inactifs, et de faire subsister cette multitude de matelots et d’ouvriers de toute profession qui vivaient de la navigation ? Le remède inventé par le congrès est pire que le mal. C’est un suicide auquel nous ne saurions plus long-temps con-

  1. Juin 1807.