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DU DROIT DE VISITE.

la Prusse. La mort tragique de Paul Ier, survenue trois mois après, et un combat sanglant livré par les Anglais à la flotte danoise, dissipèrent cette ligue. Les évènemens empêchèrent qu’elle ne se reformât. La guerre continentale enveloppa toutes les puissances : les unes suivirent la fortune de la France, les autres celle de l’Angleterre ; aucune ne garda la neutralité et n’eut à en revendiquer les droits.

Cependant une nation nouvelle était née au-delà de l’Atlantique, qui devait désormais prendre en main la défense des priviléges des neutres, et leur prêter un appui tel qu’ils n’en avaient jamais obtenu. À peine la guerre fut-elle déclarée entre la France et l’Angleterre, que celle-ci fit visiter en mer les bâtimens des États-Unis, et confisquer les marchandises qui furent reconnues propriété française ; non contente de cela, elle fit enlever sur ces bâtimens, pour les employer à son service, tous les matelots présumés d’origine anglaise ou canadienne, sans excepter même ceux qui avaient été naturalisés citoyens américains. C’était pousser aussi loin que possible l’abus de la force et le mépris des droits des neutres. Les États-Unis invoquèrent le principe reconnu par l’Angleterre elle-même dans le traité d’Utrecht, que le pavillon couvre la marchandise[1]. Ils se plaignirent plus vivement encore de la saisie de leurs matelots, représentant à quelles erreurs on était exposé par la similitude du langage des deux peuples, et la difficulté de distinguer ceux qui étaient réellement d’origine anglaise et ceux qui n’en étaient pas ; l’injustice d’enlever ceux qui étaient naturalisés, et qui devaient plus encore se croire en sûreté sous la protection du pavillon américain ; le danger enfin auquel on exposait les bâtimens qu’on privait d’une partie de leur équipage, et qui étaient obligés de poursuivre ainsi leur route. Rien ne put amener la fin de ces violences. L’Angleterre répondit, quant aux marchandises, qu’elle ne pouvait pas souffrir que la France continuât son commerce sous un autre pavillon, et qu’elle devait lui faire subir tous les maux de la guerre, pour la contraindre à la paix ; quant aux matelots, que la guerre les lui rendait nécessaires, que son existence même en dépendait, et que la constitution n’admettait pas qu’un Anglais pût jamais se soustraire, même par la naturalisation en pays étranger, à l’allégeance envers son pays, qu’il se devait toute sa vie à son service.

Les États-Unis, sans être satisfaits de ces raisons, furent obligés de

  1. Free ship, free good.