Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
REVUE DES DEUX MONDES.

priété. Rien de semblable pour la mer ; ses richesses ne sauraient s’épuiser, et l’usage qu’en peut faire chacun ne porte aucun préjudice à l’usage des autres. Si une exception est admise, ce n’est point pour la pleine mer, mais pour une faible portion de ses rivages où la pêche, nécessaire à la nourriture des habitans, s’épuise et où le privilége est utile et peut s’exercer.

De cette communauté de la pleine mer découle un autre principe, c’est que tout navire est une portion du territoire de la nation à laquelle il appartient, et qu’il n’est pas plus permis de l’envahir que d’envahir ce territoire ; principe salutaire qui le protége, dans son isolement, au milieu des mers, et qui rend insaisissables, en temps de guerre, les personnes et les marchandises qu’il transporte, si sa nation n’est point engagée dans la guerre.

Cette doctrine, les neutres l’ont toujours invoquée, l’Angleterre l’a toujours méconnue. Une fois elle l’a admise en théorie. Le traité d’Utrecht de 1773 a établi que ni les marchandises ni les personnes ne seraient saisies en temps de guerre sur les bâtimens neutres, lors même qu’elles appartiendraient à l’ennemi ; mais quand éclata la guerre de l’indépendance américaine, qui mit aux prises la marine anglaise avec celles de la France, de l’Espagne et de la Hollande, l’Angleterre ne tint aucun compte des priviléges des neutres, elle fit saisir en mer tous les bâtimens russes, suédois ou autres, qui portaient des bois de construction en France ou en Espagne, et confisqua ces bois, bien qu’ils ne fussent pas compris dans les objets de contrebande de guerre dont le transport était seul interdit par les traités. L’impératrice Catherine publia alors une déclaration[1] portant qu’elle ferait respecter ses droits par la force. La Suède, le Danemark, la Prusse, l’Autriche, le Portugal et Naples adhérèrent à cette déclaration de neutralité armée. On se promit de faire convoyer les bâtimens marchands pour les protéger contre les insultes de l’Angleterre, et de se prêter, en cas d’attaque, un mutuel secours. Des collisions eurent lieu entre les bâtimens neutres et les bâtimens anglais.

La fin de la guerre d’Amérique fit cesser cette querelle ; mais elle recommença avec la guerre de la révolution française. Paul Ier reprit l’ouvrage de Catherine. Il publia une nouvelle déclaration de neutralité armée[2] à laquelle adhérèrent la Suède, le Danemark et

  1. Février 1780.
  2. 16 décembre 1800.