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REVUE. — CHRONIQUE.

et résolu, ne lui parut qu’un engouement passager et sans racines ; en osant le braver, elle provoqua une de ces explosions que l’histoire présente comme un enseignement aux gouvernemens et aux nations. Aujourd’hui, c’est encore une phase nouvelle et particulière, c’est un autre besoin qui se développe et veut se satisfaire à tout prix, le besoin de la paix, du travail, du bien-être, tranchons le mot, de la richesse. C’est la richesse qui est le but ; on ne veut la paix et le travail que comme moyens ; on s’en passerait sans peine si on pouvait également s’enrichir en faisant ses fantaisies et en quittant l’atelier pour l’arène politique.

Quoi qu’il en soit, et quelque inférieure que nous paraisse la nature du besoin dominant, il n’est au pouvoir de personne de l’étouffer et d’attirer fortement l’attention du public sur des objets d’un ordre plus élevé. À toute proposition, à toute question, sans lever les yeux de son carnet, le public vous demandera froidement : Combien pour cent à gagner ? Les hommes aux grandes pensées et aux idées généreuses doivent se résigner et attendre patiemment la fin de cette humble période. L’histoire nous apprend qu’en moyenne ces phases de l’esprit social, en France, sont décennales. Ainsi le veut l’esprit vif, mobile, actif de la nation. Ajoutons, pour être justes, que l’histoire, dans son impartialité, reconnaîtra qu’en ne demandant pas au pays ce que le pays ne comprenait ni ne voulait, on n’a fait qu’obéir, à regret peut-être, aux nécessités du temps. Se flatter de les vaincre, c’eût été une erreur, une noble erreur à la vérité, une généreuse illusion ; mais peut-être était-il sage de prendre les choses comme elles sont.

Sous l’influence de ces dispositions générales, ce qu’il y aura de plus vif, de plus animé, de plus bruyant dans les débats parlementaires, seront les luttes de certains intérêts particuliers contre l’intérêt général. Nous aimons à croire que dans tous les rangs, dans tous les partis, il se trouvera des orateurs qui oseront arracher à l’égoïsme ce masque de bien public dont il aime à se couvrir, et que, grace à leur voix patriotique et puissante, il sera contraint de se montrer au pays, à nu, tel qu’il est, avec ses étranges prétentions et son intolérable cupidité. Nous l’espérons, les voix de M. de Lamartine, de M. Barrot ne manqueront pas, même sur le terrain des intérêts matériels, à la cause nationale. Ce ne sont pas là des querelles de parti, ce sont des questions françaises. La France les comprendra un jour, et sa reconnaissance sera pour ceux qui l’auront aidée à les comprendre.

En attendant, ces mêmes dispositions du public ont laissé passer presque inaperçue la question politique du moment. Y aura-t-il une séance royale, un discours de la couronne, et, en conséquence, des adresses ? La question a été débattue, dit-on, dans le conseil de ce jour. Les avis se trouvaient partagés, même au sein du cabinet, non sur le droit : la session n’ayant été que prorogée, une nouvelle ouverture des chambres n’est pas nécessaire. Il est d’ailleurs un précédent que tout le monde connaît, et qu’on a souvent rappelé. La question est donc toute de convenance politique.

On a dit, pour l’affirmative, que, dans le discours d’ouverture, la couronne