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corps n’étaient qu’une plaie. Sa tête, dépouillée de cheveux, portait les traces de plusieurs blessures déjà cicatrisées ; un de ses bras était fracturé au-dessous du coude et paraissait l’être depuis long-temps. Quand ce malheureux enfant fut amené devant les magistrats, il ne pouvait ni se tenir debout ni demeurer assis ; on fut obligé de le déposer à terre dans une espèce de berceau. L’instruction prouva que son bras avait été cassé par un coup de barre de fer, que la fracture n’avait jamais été remise, et que pendant plusieurs semaines il avait été obligé de travailler avec le bras dans cet état. Il fut ensuite prouvé que son maître, qui avoua le fait, avait coutume de le battre avec un morceau de bois à l’extrémité duquel était fixé un clou long de plusieurs pouces. Cet enfant manquait souvent de nourriture, comme le montrait l’état d’émaciation de son corps. Son maître l’employait à traîner des chariots, et, lorsqu’il avait été tout-à-fait hors d’état de travailler, il l’avait renvoyé à sa mère, qui était une pauvre veuve[1]. »

On a dit que l’on peut juger de l’état d’une société par la condition des femmes. Rien n’est donc plus propre à donner une idée déplorable de la situation de la population des mines que le genre de travaux auxquels les jeunes filles et les femmes y sont assujetties dans le West-Riding du comté d’York, le Lancashire, les districts de Leeds, de Bradford, d’Halifax, la partie méridionale de la principauté de Galles et l’est de l’Écosse. Dans les mines de charbon des districts que je viens de nommer, il n’y a pas de distinction entre les deux sexes. Les jeunes filles poussent les chariots aussi bien que les enfans ; on les emploie même, ainsi que les femmes, à des travaux auxquels les ouvriers de l’autre sexe ne veulent se soumettre à aucun âge. En Écosse, par exemple, où dans beaucoup de mines il n’y a pas de machine pour élever le charbon à la surface de la terre, ce sont les femmes qui le montent sur leur dos dans des corbeilles, par des échelles ou des escaliers grossièrement construits. Les ouvriers aiment fort à avoir pour aides des jeunes filles, parce qu’elles sont plus dociles et travaillent avec plus d’assiduité que les garçons. Presque partout les femmes sont confondues avec les hommes, qui travaillent le plus souvent dans un état de complète nudité ; les jeunes filles n’ont elles-mêmes pour tout vêtement que des lambeaux de chemises, et les femmes des pantalons en haillons ; la plupart sont complètement nues jusqu’à la ceinture. « Si l’on considère la nature de ces horribles travaux, dit un des sous-commissaires après en avoir rappelé les circonstances les plus odieuses[2], la durée non interrompue de cette tâche pendant douze et quatorze heures, l’atmosphère humide, chaude et malsaine d’une mine de houille[3], l’âge et le sexe des travailleuses,

  1. M. Kennedy’s Report, app., part. II, p. 218.
  2. Report, p. 24, 233. — M. Symon’s Report, app., part. I, p. 181, 295. — M. Scriven’s Report, app., part. II, p. 73.
  3. La température des mines est toujours élevée, et ce n’est que dans le petit nombre de celles qui sont parfaitement bien aérées que les variations de la température atmosphérique sont sensibles. Dans les houillères du Yorkshire, elle varie,