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LES BRUGRAVES.

étendant la main, comme dans un songe, pour reprendre son glaive et son bouclier. De nos jours même, Barberousse est encore, dit-on, le messie qu’attend l’Allemagne, le messie qui, lorsqu’il reviendra dans le monde, fera reverdir l’arbre desséché, et rendra la gloire et la liberté aux Teutons. Ne soyez donc pas surpris d’apprendre que le mendiant qu’on vient d’introduire, au bruit des fanfares, dans le manoir de Happenheff, n’est autre que Frédéric Barberousse. Il se nomme : on hésite à le croire : mais la marque d’un fer rouge qu’autrefois, dans un assaut, le comte Job lui a imprimée sur la main droite, ne permet pas le doute. Tout tremble à la vue formidable de l’apparition impériale.

Vous me reconnaissez, bandits ; je viens vous dire
Que j’ai pris en pitié les douleurs de l’empire ;
Que je viens vous rayer du nombre des vivans,
Et jeter votre cendre infâme à tous les vents.
Vos soldats m’entendront ; ils sont à moi ; j’y compte :
Ils étaient à la gloire avant d’être à la honte.
...............
N’est-ce pas, vétérans ? ........
Tandis que ces bandits vous fêtent en riant,
On entend les chevaux hennir en Orient.
Les hordes du Levant sont aux portes de Vienne.
(Aux comtes et aux barons.)
Aux frontières, messieurs ! Allez ; qu’il vous souvienne
De Henri-le-Barbu, d’Ernest-le-Cuirassé !
Nous gardons le créneau : vous, gardez le fossé.
Allez ! .......

Les jeunes burgraves baissent la tête ; le vieux Magnus seul, l’homme de fer, se redresse ; il s’écrie de sa plus forte voix de commandement :

.......Triplez les sentinelles !
Les archers au donjon ! les frondeurs aux deux ailes !
Haut le pont ! bas la herse ! .......

Et d’un ton moins haut, mais aussi ferme :

Soldats, courez au bois ; taillez granit et marbres ;
Prenez les plus grands blocs, prenez les plus grands arbres,
Et sur le mont qui jette au monde la terreur,
Faites un grand gibet, digne d’un empereur.