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plus nettement les intérêts personnels du pays des intérêts généraux de la France.

Voilà ce qui explique la direction suivie par le gouvernement belge dans toutes ses négociations commerciales avec l’étranger. Des trois portes assiégées par l’industrie et dont nous avons parlé plus haut, la plus large, la plus nécessaire, celle de la France, est la dernière à laquelle il soit allé frapper. Il s’est réconcilié franchement avec la Hollande, parce qu’il sait bien que si au fond du cœur le roi actuel n’a peut-être pas abandonné l’espoir de reformer l’ancien royaume des Pays-Bas, son peuple se prononcerait contre toute velléité de restauration, au point de recommencer, s’il le fallait, l’ancienne querelle de la république et du stathoudérat. Il caresse l’Allemagne, et surtout la Prusse, qui forme dès à présent la tête du grand corps germanique, parce qu’elle a une cause commune à défendre sur le Rhin. La construction d’un chemin de fer rhénan a été en partie le produit de cette pensée constante. Plutôt que d’offrir Anvers au commerce français en compensation d’avantages trop chèrement payés, il le livre gratuitement à l’Allemagne. Il attire les États-Unis vers l’Escaut par l’établissement coûteux d’une ligne transatlantique de bateaux à vapeur. Il encourage la fondation d’une colonie dans les solitudes de l’Amérique centrale ; il conclut des traités de commerce avec l’Espagne, avec la Turquie, avec les républiques et les empires du Nouveau-Monde, et semble enfin n’avoir de plus ardente envie que de hâter le jour où le pays pourrait se passer des relations commerciales de la France. Si le patriotisme du gouvernement belge se trompe, son erreur est trop respectable, elle prouve trop de quels soins jaloux il entoure l’intégrité nationale pour qu’on soit fondé à y trouver un sujet de récriminations et de blâme. Mais jugeons de sang-froid la portée de tous les actes que nous venons d’énumérer.

La Hollande, quoique sincèrement réconciliée avec la Belgique, n’accordera aux produits de ce pays aucune préférence sur ceux de l’Angleterre. Les traités de commerce avec un autre continent ne garantissent pas de la formidable concurrence anglaise. La colonie dans le Guatimala est encore à naître. Les États-Unis ne feront d’Anvers un entrepôt pour leurs cotons que s’ils trouvent à en alimenter l’Allemagne par cette voie, possibilité qui dépend de l’avenir du chemin de fer rhénan. C’est donc là le seul point qui mérite de fixer l’attention du public français. Quoique cette belle voie de communication ne puisse manquer assurément d’être utile aux deux peuples