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moral ont été assez puissantes en 1830, pour la décider à l’abandon complet de tous les avantages matériels qu’elle retirait de son union avec la Hollande ; combien, après douze ans passés dans l’indépendance, est-elle plus loin encore de vouloir reprendre une chaîne dorée ! Mais ce petit peuple ne tient pas seulement à sa liberté pour la satisfaction stérile de n’appartenir à personne ; c’est qu’elle lui est indispensable pour le maintien de ses mœurs, pour la préservation de ses croyances, pour le développement régulier de son génie. Nous croyons l’avoir démontré suffisamment, aucun peuple n’est plus occupé que lui dans la sphère des idées pratiques ; il s’est préparé du travail pour plus d’un siècle, et non-seulement il est dévoré du désir de vivre, mais il est intéressant pour le reste de la civilisation qu’il vive. Dominé par ses besoins moraux, fût-il réduit à l’une de ces extrémités où les nations plus vieilles et plus fatiguées capitulent avec leur nécessité de repos et de bien-être, il n’aliénera jamais de son propre mouvement aucun des droits précieux qu’il est fier d’avoir conquis. Comme après tout un pays ne meurt pas de pléthore, et qu’à la rigueur il peut toujours éteindre une partie de ses fourneaux, fermer quelques ateliers et pourvoir, avec les grandes ressources qui lui restent, aux souffrances de la classe ouvrière pendant le déplacement du travail, il ne balancerait point à prendre ce parti héroïque, si on lui mettait le marché à la main, imitant ainsi l’exemple d’un équipage en péril qui jette une riche cargaison à la mer pour sauver le navire. Mais il n’est pas probable que les choses en viennent là : un malaise qui a duré douze ans sans amoindrir les fortunes, sans arrêter la marche ascendante de la richesse publique, n’aboutit point d’ordinaire à une pareille crise.

La Belgique ne périra donc point par la question industrielle ; mais il n’en importe pas moins à sa prospérité future qu’elle la résolve le plus tôt possible. La période de la diplomatie politique est finie pour elle ; elle voudrait fermer avec le même bonheur celle de la diplomatie commerciale. Malheureusement, le soin de son indépendance ne lui permet pas de marcher librement dans cette voie. Celui de ses voisins vers lequel tous ses intérêts matériels l’attirent est celui qu’elle redoute le plus. Son instinct lui dit que le grand peuple dont elle arrête la frontière au nord, n’a pas renoncé à reconstruire, même par des moyens nouveaux, le colossal édifice d’un empire terminé au Rhin, qu’elle est pour lui un objet constant de convoitise, et qu’un double péril la menace de son côté, la guerre et l’absorption pacifique. La guerre, quoique les signes du temps paraissent en