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LA BELGIQUE.

barrière infranchissable est venue s’élever entre elles et leur débouché unique, la Hollande. Comme un flot qui ne cesse de monter, ces industries battent les murs de leur prison, et ne parviennent encore à déverser leur trop-plein que par d’insuffisantes échappées. Ce qu’il leur faut, c’est une voie large et régulière d’écoulement ; ce qu’elles demandent, c’est qu’on retourne l’ouverture du fer à cheval que formait la ligne des douanes sous le régime précédent, du côté du peuple qui voudra bien abaisser sa digue. Deux directions s’offrent à elles, la France et l’Allemagne, et si toutes les deux leur manquent, un pis-aller, la mer avec ses marchés lointains. Voilà la situation industrielle de la Belgique nettement définie, je pense. Son gouvernement l’a comprise, comme nous l’avons fait voir, dès le lendemain de la révolution. Sans doute, en notre siècle, l’industrie a la voix haute ; tous les foyers qu’elle a établis dans chacune des provinces méridionales de l’ancien royaume retentissent de ses plaintes : ce sont les bassins houillers de Mons, de Charleroi et de la Meuse, les verreries de la Sambre, les usines à fer de Liége, de Namur et du Luxembourg, les grands ateliers de machines à Seraing, à Bruxelles et à Gand, les manufactures de coton de cette dernière ville, la fabrique des toiles dont Courtray est le centre, la draperie de Verviers enfin. La Belgique entière écoute tour à tour leurs doléances, même lorsqu’elles exagèrent le mal ; mais il est une voix plus puissante qui domine et qui dominera toujours ces clameurs, c’est la voix de son indépendance, si jalouse et si vigilante qu’elle aperçoit une arrière-pensée dans toutes les avances que ses voisins semblent lui faire. Ceux qui espèrent que la nationalité belge viendra échouer contre l’écueil de la question industrielle, ne connaissent pas la mesure des sacrifices que ce peuple, avec le tour particulier de son caractère et sa persistance de volonté, est capable de s’imposer par amour pour son propre ouvrage.

Que l’on réfléchisse bien à ceci. Un peuple, s’il est réellement un peuple, n’abdique aucun de ses droits, ne se met pas à la merci d’une nation plus puissante, ne se suicide point, en un mot, pour quelques millions de quintaux de fer ou de houille qu’il ne trouve pas à placer. Quelque malaise qu’il en éprouve, il consent à souffrir pourvu qu’il soit : c’est assez, il est plus que content. Nous qui connaissons la Belgique, qui avons assisté à sa régénération, qui la voyons agir, qui l’étudions sérieusement tous les jours, nous savons qu’elle a une soif impérieuse d’être qui fera toujours taire ses autres besoins. N’oublions pas que des incompatibilités d’un ordre purement