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son établissement nouveau, a été rapide et continu. Cette Belgique, qu’on prenait d’abord pour un accident, a senti le besoin de désabuser l’Europe ; elle a compris l’importance qu’il y a pour les petits peuples à s’emparer de leur terrain, et chaque heure de sa liberté a été pour elle une heure féconde et précieuse. Tout a concouru à stimuler son énergie. Outre l’élan ordinaire qui pousse les sociétés au sortir des révolutions, l’issue inespérée de sa lutte de quinze ans a exalté son courage. Quand elle s’est vue tout à coup nation dans l’univers moderne, et nation reconnue par ces volontés hautaines qui, quinze ans auparavant, avaient tracé partout d’inflexibles frontières, aussitôt, avec la confiance que donne la faveur inattendue de la fortune, elle s’est prise à croire à la possibilité de toujours vivre ainsi, et, sans se dissimuler la grandeur des périls qui la menaceront plus tard, elle a marché droit devant elle, soutenue par un secret pressentiment que le destin la doit favoriser encore. C’est grace à cette heureuse sécurité qu’elle a pu accomplir, dans ses voies particulières, des progrès dont nous allons faire apprécier l’étendue, en racontant son existence intérieure, comment, à l’ombre du régime qu’elle-même a fondé, elle vient de manifester enfin son génie, et quels obstacles plus nombreux et plus puissans chaque jour elle se hâte d’opposer à son absorption future par le seul de ses voisins qui n’en ait pas abandonné l’espoir.

Observons d’abord les institutions qu’elle s’est données. En les expliquant, nous rencontrerons des dissemblances profondes qui distinguent son ménage politique de celui de la France, et qui tiennent précisément à la différence de leur nature, de leurs penchans et de leur origine.

Il y a, dans la vie de certains peuples, des tendances si impétueuses et si persistantes, qu’elles traverseront sans dévier des crises où les institutions les plus fermes iront s’abîmer sans retour. C’est ainsi que les historiens ont montré comment a grandi sans relâche, dans les luttes de la réforme, sous la monarchie absolue et depuis l’avénement de la démocratie, cette unité fameuse qui fait la force de la France nouvelle et qui donne tant d’autorité à son apostolat social, unité qui, dans son régime intérieur, s’est formulée par la centralisation, et, dans sa charte, a laissé tant de pouvoir encore au principe le plus compromis par les révolutions, au principe de la royauté. En Belgique, la tendance a toujours été contraire ; la vie nationale, comme on vient de le voir, s’est jadis éparpillée dans les villes et dans les provinces eh bien ! c’est vers la décentralisation