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Mais, demandera-t-on, le Tsernogore a-t-il donc de l’avenir ? Que répondre à cette question ? L’Europe orientale a déjà eu plusieurs républiques célèbres formées, comme le Tsernogore, d’une réunion d’ouskoks, et toutes ont disparu, depuis celle des Zaporogues de l’Oukraine, immolés par Catherine-la-Grande, jusqu’aux Souliotes d’Albanie, que notre époque a vus si glorieusement succomber. Les ouskoks du Tsernogore auront-ils la même fin que leurs devanciers ? Plusieurs raisons nous portent à espérer pour eux un meilleur sort. Ils s’appuient sur une nation nombreuse, qui a tout intérêt à les soutenir, au moins jusqu’à ce qu’elle soit elle-même réhabilitée. L’antique Sparte n’était-elle pas aussi un nid de brigands organisé au sein du monde classique ? N’était-ce pas aussi le Tsernogore de la Grèce ? Et pourtant cette montagne Noire des Hellènes fut le dernier état grec qui resta debout, et qui se défendait encore quand tous les autres n’étaient plus. Jaloux de toute gloire slave, les publicistes allemands conspirent pour signaler à l’Europe le Tsernogore comme une colonie russe, et son vladika comme un natchalnik impérial. Ils citent comme une irrécusable preuve de cette assertion la pension de 85,000 francs que le consul russe de Raguse fait passer annuellement à Pierre II. Mais cette pension, que touchait déjà Pierre Ier, date de l’époque où ce vladika se ligua avec les Russes contre les Français de la Dalmatie ; c’est une indemnité stipulée pour les pertes pécuniaires que l’archevêque tsernogortse, ou plutôt son siége, éprouva quand le gouvernement français retrancha de son domaine spirituel les succursales ecclésiastiques dalmates qui avaient jusqu’alors relevé de Tsetinié. Cette pension est donc une dette contractée par la Russie, et qu’elle devrait acquitter même dans le cas où son créancier lui deviendrait hostile.

Que le vladika Pierre Ier ait recommandé au peuple dans son testament de ne jamais manquer de reconnaissance envers la Russie, que Pierre II ait envoyé en 1840 ses deux neveux étudier à Pétersbourg, que des chargemens de blé russe soient fréquemment envoyés d’Odessa à la montagne Noire, et que les icones et vases sacrés de Tsetinié soient des présens du tsar, tout cela ne prouve rien contre le patriotisme des Tsernogortses. Un homme raisonnable peut-il même leur reprocher d’aimer le tsar, quand ce monarque est le seul qui les aide ? Faites-leur du bien, et ils vous aimeront comme ils aiment leur bienfaiteur du Nord. Des bienfaits, répondra-t-on, ne nous gagneraient pas la sympathie de schismatiques qui ne savent aimer que leurs coreligionnaires. Cette assertion, devenue banale, est contredite par