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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

recouverte en chaume : c’est le soviet (maison du sénat). Dans les hangars extérieurs sont attachés les ânes et les mulets qui servent de montures aux sénateurs. La vaste chambre consacrée aux délibérations n’a d’autres meubles qu’une rangée de tapis et un long banc de pierre qui s’étend autour d’un âtre creusé dans la terre, et où l’on fait du feu pendant l’hiver : c’est là que les chefs, après avoir suspendu leurs armes à la muraille, s’asseoient, le tchibouk aux lèvres, autour de leur archevêque, assis comme eux sur le banc de pierre, avec un coussin pour unique distinction. Le résultat des débats est constaté sur place par le secrétaire du soviet, qui écrit à la turque sur ses genoux. C’est le peuple qui est censé élire les sovietniks (sénateurs), mais c’est au vladika seul qu’il appartient de confirmer l’élection. Ces fonctionnaires sont logés et nourris aux frais de l’état, et reçoivent un traitement annuel de 200 francs par tête. La modicité de cette somme ne s’explique que par la pauvreté du pays et l’extrême bas prix des denrées. Tous les oukases qui régissent le Tsernogore doivent être élaborés et consentis par ce corps législatif, et ne sont promulgués par le vladika qu’avec la formule toute romaine : au nom du sénat et du peuple tsernogortses.

Habituellement le vladika préside en personne les séances du soviet ; puis le soir, après le souper, les capitaines venus de la frontière pour rendre leurs comptes, les serdars, les vieux knèzes, et même les poètes aveugles, viennent se ranger autour de l’hospodar, qui s’entretient avec eux, écoute leurs récits de guerre, adresse des complimens aux plus dignes, ou fait chanter devant lui quelques rapsodies héroïques ; les plus beaux de ces chants sont ensuite publiés dans la Grlitsa. Telles sont les veillées du château des Tsernogortses. Que Pierre II aime à se produire au dehors sous des formes européennes, qu’il prenne vis-à-vis de l’étranger les titres de prince et d’altesse sérénissime, il n’y a rien là que d’inoffensif, car ces titres sont de nulle valeur vis-à-vis de son peuple, qui ne l’appelle que saint père ou maître saint (sveti vladiko). Son titre réel est archevêque du Tsernogore et des Berda ; les actes ecclésiastiques ajoutent : et de Skadar et de toute la Primorée. Il a pour armoirie l’aigle double, que le Tsernoïevitj Ivo portait sur son bouclier. C’est à Ivo que les évêques tsernogortses doivent les fermes qui, sous le nom d’Ivan begovina, forment leur principal revenu, évalué à 130,000 francs de rente au plus. Le vladika reçoit, il est vrai, assez souvent des dons libres de ceux qui reviennent de la tcheta chargés de butin, il a en outre sa part dans les pêches qui se font sur le lac de Skadar ; mais tout cela