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Après de longs débats, un traité de paix fut signé, traité d’une haute importance diplomatique, puisqu’il introduisait le Tsernogore dans le droit commun de l’Europe, mais qui souleva de violens murmures parmi les montagnards lésés par cette convention. Depuis cette époque, l’Autriche, peu rassurée malgré son succès, a dû munir les garnisons de cette côte de raquettes à la Congrève, destinées à atteindre de loin l’ennemi caché derrière ses rochers ; moyen d’attaque peu loyal, mais regardé comme le seul que ce peuple terrible ne soutiendrait pas. Convaincus enfin de l’avantage d’une réconciliation au moins apparente avec les schwabi, les Tsernogortses laissèrent leur vladika ériger en face de Boudva une potence où devait être pendu quiconque se permettrait désormais des brigandages sur le sol autrichien[1]. La Russie elle-même, pour cimenter cette réconciliation, désavoua son agent secret au Tsernogore, le capitaine du génie Kovalevski, et le somma de venir se justifier à Vienne de la part qu’il avait prise aux tchetas des montagnards. Obligé de quitter la montagne, qui était devenue pour lui une seconde patrie, le slavophile jura à ses compagnons d’armes un dévouement inaltérable, et partit pour aller plaider leur cause parmi les siens.

Décidé pour le moment à ne plus tenter de conquêtes que sur les Turcs, le vladika tourna contre l’Hertsegovine et l’Albanie toute l’énergie guerrière de son peuple. L’émancipation de ces deux provinces, pour laquelle les guerriers noirs combattent depuis trois siècles, sembla près de se réaliser enfin en 1841, à la suite des triomphes remportés pendant deux années consécutives sur le fameux visir de l’Hertsegovine, Ali. Kovalevski, de retour au Monténégro, dressait alors les plans de campagne des montagnards, et leurs manœuvres n’avaient jamais offert tant d’ensemble. Kolachine, Boroslavtse, Klobouk, le fort de Jabliak, réparé par les Turcs, soutenaient des assauts quotidiens. La ville de Podgoritsa, boulevart de l’Albanie, était surtout l’objet d’attaques acharnées. Toujours repoussés de cette place, les Tsernogortses y avaient enfin envoyé quelques-uns des leurs, qui s’étaient introduits comme transfuges, pour la miner secrètement et la faire sauter avec toute sa garnison ; mais, leurs sacs de poudre ayant été découverts par les Turcs, ce complot n’avait abouti qu’au supplice des transfuges. Les montagnards, impatiens de laver leur affront, parurent aussitôt sous

  1. Cette paix, qui consacrait une spoliation, ne pouvait être solide. Aussi vient-elle d’être rompue par les montagnards, qui recommencent leurs irruptions sur les territoires en litige.