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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

prospérité dépendait de son intime union avec les Serbes maritimes, et elle se mit à soutenir de nouveau les Tsernogortses, qui, restés maîtres des parties les plus inaccessibles de leur montagne, fondaient chaque jour comme des aigles sur les Turcs des vallées. En 1716, ils parvinrent même à expulser du pays les deux pachas d’Hertsegovine et de Bosnie, qui l’avaient envahi avec leurs armées. Il est vrai qu’ils déshonorèrent leur victoire en immolant soixante-dix-sept prisonniers aux mânes des trente-sept chefs traîtreusement exécutés par Kiouprili. En 1718, les Tsernogortses, au nombre de cinq mille cinq cents, marchèrent au secours des Vénitiens bloqués dans Antivari et Dulcigno et les délivrèrent en battant le visir d’Albanie. Une lettre de remerciemens, du sénat de Venise au vladika Danilo, conserve le souvenir de ce haut fait des guerriers noirs. En 1727, ils remportèrent une nouvelle et éclatante victoire sur Tchenghitj-bekir, qui ne leur échappa avec peine que pour aller se faire tuer quelques années plus tard par d’autres Slaves, à la bataille d’Otchakov.

Néanmoins la trace des affreux ravages commis par Kiouprili n’était point encore effacée. Plusieurs grandes tribus se trouvaient réduites presque à rien. Celle des Ozrinitj, suivant la piesma intitulée la Vengeance de Tchevo, était réduite à quarante hommes, quand son voïevode, Nicolas Tomache, se vit cerné dans Tchevo par des milliers de Turcs que conduisaient le beg Loubovitj et le gouverneur du fort de Klobouk. Le vaillant voïevode soutint les assauts des Turcs et donna le temps à l’armée tsernogortse de venir le délivrer.

« Pendant que la mêlée avait lieu dans la plaine, que le feu des fusils remplissait l’air de la terre au ciel, Tomache et les siens, du haut du rocher de Tchevo, priaient Dieu d’écarter d’un coup de vent ces nuages de fumée pour qu’ils pussent découvrir laquelle des deux armées l’emportait. Enfin ils voient monter vers eux leurs frères tsernogortses qui venaient de couper la tête à plus de mille Turcs, et qui amenaient un nombre non moins grand de prisonniers enchaînés. — Ô Dieu ! s’écria Tomache, graces te soient rendues de ce que nous vengeons si bien nos pères massacrés par Kiouprili ! Et puisses-tu donner dans ton ciel, à ceux qui meurent pour défendre le Tsernogore, les joies d’un triomphe sans fin ! »

III.

L’existence jusque-là si précaire des Tsernogortses commençait à se consolider : la lutte, qui se continuait entre la montagne Noire et la Porte, attirait les regards de l’Europe civilisée ; les héroïques mon-