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puissant et je me fie à la nation serbe, surtout aux bras des iounaks tsernogortses, qui certainement m’aideront à délivrer le monde chrétien, à relever les temples orthodoxes et à illustrer le nom des Slaves. Guerriers de la montagne Noire, vous êtes du même sang que les Russes, de la même foi, de la même langue, et d’ailleurs n’êtes-vous pas, comme les Russes, des hommes sans peur ? Il importe donc peu que vous parliez la même langue pour combattre avec eux. Levez-vous tels que vous êtes, héros dignes des temps anciens, et restez ce peuple terrible qui n’a jamais de paix avec les Turcs.

« À ces paroles du tsar slave, du grand empereur chrétien, tous brandissent leurs sabres et courent à leurs fusils. Il n’y a qu’une voix : Marchons contre les Turcs, et plus vite ce sera, plus nous en aurons de joie… en Bosnie et en Hertsegovine, les Turcs sont défaits et bloqués dans leurs forteresses. Partout villes et villages musulmans sont brûlés ; il n’est pas une rivière, pas un ruisseau qui ne se teigne du sang infidèle. Mais ces réjouissances ne durèrent que deux mois ; elles se changèrent pour les Serbes en calamités, à la suite de la paix subite et forcée que le tsar Pierre dut conclure avec la Porte. Les Tsernogortses furent pris d’un grand désespoir. Toutefois ils restèrent en campagne, se montrant déjà alors ce qu’ils sont aujourd’hui, buvant le vin et combattant le Turc. Et tant qu’un d’eux restera en vie, ils se défendront contre qui que ce soit, Turc ou autres. Oh ! elle n’est pas une ombre, la liberté tsernogortse. Nul autre que Dieu ne pourrait la dompter, et, dans cette entreprise, qui sait si Dieu même ne se lasserait pas ?

Une autre piesma complète en ces mots le récit de la guerre :

« Victorieuse des Moscovites, Stambol se livrait à la joie, quand tout à coup arrive dans ses murs un guerrier turc du grad sanglant d’Onogochto. Il raconte en pleurant au divan impérial les affronts qu’a subis la fière Bosnie attaquée par les noirs du Tsernogore, l’incendie des villes, le pillage des campagnes, la désolation qui règne partout. Ému de ces tableaux, le sultan confie cinquante mille hommes à son plus habile seraskier, Akhmet-Pacha, et le charge d’aller exterminer les rebelles. Le traité conclu sur le Pruth vient de mettre le tsar turc en paix avec toute l’Europe ; il n’a plus d’ennemis que les Tsernogortses : comment résisteront-ils seuls contre le grand empire ?

« Arrivé avec ses cinquante mille soldats dans la plaine de Podgoritsa, le seraskier impérial écrit au vladika Danilo : « Envoie-moi un petit haratch, et pour otages les trois iounaks Popovitj de Tchevo, Merval de Velestovo, et le faucon Mandouchitj. Si tu ne le fais, je mettrai à feu tout le pays de la Moratcha au lac salé (l’Adriatique) ; je te prendrai vivant et je t’arracherai la vie dans les tortures. » En lisant cette lettre, le vladika pleura amèrement ; il se hâta d’écrire à tous les chefs de la rude montagne et les convoqua à Tsetinié. La diète étant rassemblée, les uns disaient : « Donnons le haratch ! » les autres : « Donnons plutôt des pierres ! — Compagnons, donnez ce qu’il vous plaira, cria Mitjounovitj ; pour moi, je ne livrerai point mes frères