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fait la joie de plusieurs générations ; d’autres ont été composées récemment dans le même mètre et le même esprit que les anciennes ; chaque année et chaque jour on en fait de nouvelles, et chaque année l’infatigable investigateur de cette poésie pourrait ajouter quelques belles pages à son Kanteletar.

— Ô Providence ! s’écrie Uhland dans une de ses odes, je te remercie, car tu m’as donné un chant pour chaque joie, un chant pour chaque douleur. — Le paysan finlandais pourrait adresser à Dieu les mêmes paroles de reconnaissance : le sentiment poétique est pour ainsi dire inné en lui, et la mélodie du rhythme lui est presque aussi familière que le langage vulgaire. Chaque émotion l’inspire, chaque évènement donne l’essor à son enthousiasme. S’il est heureux, il faut qu’il exprime son bonheur en vers harmonieux ; s’il souffre et s’il pleure, il faut qu’il répande, comme Wæinemœinen, ses pleurs sur sa kantèle, qu’il dise ses souffrances au feuillage des bois que le vent balance, au lac qui soupire, à l’oiseau qui passe. Ce pauvre peuple occupe un sol ingrat ; la nature le condamne à un rude labeur, à de longues privations, souvent, hélas ! à la misère. La harpe est pour lui ce qu’était la harpe sainte de David pour l’ame malade de Saül : elle apaise ses craintes, elle assoupit ses douleurs, elle lui fait oublier l’orage de la veille et la disette du lendemain. La tradition lui en a révélé le charme magique, il prend cette harpe avec amour et ne la quitte qu’à regret.

Il y a, dans le Kanteletar, des vers pour toutes les sensations du cœur et toutes les circonstances de la vie, pour les fiançailles et les noces, les heures de repas et les heures de travail, des vers pour la chasse et la pêche, pour les voyages d’hiver et les voyages d’été, des vers surtout pour célébrer la verdure des champs, la fraîcheur des bois, la beauté des eaux.

La plupart de ces vers sont empreints d’une profonde tristesse. Ils ont été inspirés par une pensée austère, ils sont nés sous un ciel sombre, au bord d’une mer inconstante. Ils n’ont point, ils ne peuvent avoir le riant éclat ni l’abondant parfum des roses du midi ; ils sont pâles comme les pâles fleurs qui, au retour du printemps, entr’ouvrent leurs corolles sur les plaines de neige. Plaintifs et timides, si parfois ils résonnent avec force, c’est la douleur même qui les fait vibrer ainsi ; c’est le cri aigu de la souffrance qui leur donne un accent énergique.

Le premier chant du Kanteletar est comme le prologue de tous ces hymnes mélancoliques. « La harpe, dit l’auteur de ce chant, a été commencée avec le souci et terminée avec le chagrin. Ses touches ont été façonnées dans les jours de douleur, ses flancs dans les jours d’orage, ses cordes filées avec angoisse, ses visses placées dans l’affliction. Voilà pourquoi ma harpe n’exhale point de sons joyeux, voilà pourquoi elle ne répand point la gaieté autour d’elle et ne fait pas sourire ceux qui l’écoutent, car elle a été commencée avec les soucis et terminée avec le chagrin. »

Le poème entonné avec cette amertume de l’ame se continue par mille accens aussi plaintifs. Tantôt c’est une pauvre orpheline qui songe à tous ceux