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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

conservés et parqués avec des claies dans les parties les plus basses et les plus herbeuses du lac, où on les entasse tellement, qu’ils ne peuvent presque se mouvoir : c’est ainsi qu’on les engraisse et qu’on fait rapidement grossir leurs ovaires, avec lesquels se compose une poutargue peu inférieure à celle de Prévésa. — Beaucoup plus aride que la Rietchka-Nahia, le quatrième et dernier département, celui de Liechanska ou Lieskopolié, s’étend le long de la Moratcha, en face de Podgoritsa. Bien moins grand que les autres, il ne renferme que trois tribus, les Drajovines, les Bouroni, les Gradats, qui complètent les vingt-quatre plèmes dont se compose le peuple tsernogortse proprement dit.

Cette république comprend en outre un grand nombre de districts confédérés, et par des adjonctions successives augmente d’année en année le nombre de ses alliés. La longue vallée de Koutchi est unie au Tsernogore depuis 1831 ; le vaste territoire de Grahovo est depuis 1840 presque entièrement séparé de la Turquie, et ce n’est pas seulement l’Hertsegovine, c’est aussi le pachalik de Skadar que le Tsernogore pourra s’incorporer totalement dans un avenir plus ou moins prochain.

II.

L’histoire de la montagne Noire forme une longue épopée commencée depuis trois siècles, et à laquelle chaque guerre nouvelle ajoute une page glorieuse. Cette épopée, encore informe, mais dont l’intérêt va croissant, n’est autre que l’ensemble des piesmas, chants populaires du Tsernogore. Ces chants, pareils à ceux des anciens rapsodes et composés souvent par les héros mêmes qu’ils célèbrent, ne sont unis entre eux par aucun lien. Ce n’est pas de la poésie dans le sens que nous donnons aujourd’hui à ce mot, c’est un monument historique, c’est le tableau fidèle d’un état social dont aucun autre pays de l’Europe ne peut donner l’idée ; et, ne fût-ce qu’à ce seul titre, ces chants grossiers méritent une analyse approfondie.

Un jour peut-être, si elles s’animent sous la main d’un grand poète, les piesmas tsernogortses deviendront à la fois une Iliade et une Énéide, car elles célèbrent tout ensemble et les triomphes d’une race de héros vraiment égale par ses exploits aux races primitives, et les efforts de ces guerriers pour reconstruire une cité détruite, un empire effacé. Pareils aux compagnons d’Énée, qui, fuyant Troie en flammes, cherchaient partout à rebâtir Ilion, les proscrits serbes