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partage avec les monastères le butin des tchetas. Chez les chrétiens d’Orient, au contraire, il passe et avec raison pour un esprit fort. En effet, absorbés dans la vie politique, tout entiers à leurs projets de guerres et de conquêtes terrestres, les républicains du Tsernogore ne s’occupent guère du ciel. Leurs couvens sont beaucoup plus pauvres que ceux du reste de la Turquie ; et tandis que chez les autres Serbes un homme qui ne communierait pas au moins une fois l’an serait signalé comme un giaour, chez les Tsernogortses le nombre de ceux qui ne communient jamais dépasse de beaucoup celui des chrétiens fervens. Les montagnards sont loin toutefois de mépriser les saints mystères ; s’ils s’abstiennent de certaines pratiques religieuses, c’est pour obéir à l’église, qui interdit les sacremens à tout montagnard possédé d’un sentiment de haine, et qui impose l’expiation publique dès que la haine est assouvie. Ainsi la communion est interdite ici au meurtrier durant vingt années. Le Tsernogortse finit par trouver cet état de pénitent assez commode pour sa vie d’aventures, il le préfère à la vie moins libre et moins facile des vrais fidèles : la plupart de ces guerriers oublient enfin jusqu’à l’oraison dominicale, et de tout le christianisme ne connaissent plus guère que les jeûnes et le signe de la croix ; mais, à mesure que s’accroît leur ignorance religieuse, ils grandissent dans l’intelligence de la vie militaire et politique.

Cependant chaque tribu a une église et quelquefois plusieurs ; il y a en outre quatre ou cinq monastères, dont les principaux sont ceux d’Ostrog et de Moratcha. Le Tsernogore tout entier ne renferme pas plus de quinze à vingt moines, aidés par deux cents popes environ ; le couvent même de Tsetinié n’est occupé que par un seul prêtre. Ces religieux mènent une vie très austère, et ne se distinguent des caloyers grecs que par leur coiffure, qui est le fez rouge, entouré d’un mouchoir de soie en forme de turban. Le vladika lui-même, chef religieux et politique du pays, s’habille comme les autres moines ; aussi est-il appelé en Turquie le noir caloyer.

Sur aucun point du globe, l’égalité n’existe peut-être aussi complète que dans le Tsernogore ; mais le principe d’égalité, tel qu’il est compris et pratiqué par les Slaves, ne menace point les droits et l’existence de la famille, comme les théories qu’on a basées en France sur ce même principe. Chaque Serbe, en jouissant de son indépendance, continue d’être dévoué aux intérêts de tous ; il ne se sépare presque jamais de ses parens. C’est pourquoi les familles sont si nombreuses, qu’une seule suffit souvent pour former un village de