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des travaux trop nombreux et méconnu ses forces, soit que la fougue de son tempérament et l’activité de son esprit l’entraînent au-delà des bornes, et ne lui permettent de rien achever, tous les ouvrages qu’il a produits en dernier lieu, tombeaux, groupes, statues et bustes que nous avons été à même de voir, nous ont paru incomplets, souvent même dégrossis à peine par le praticien. M. Gibson, qui a commencé par être sculpteur en bois, et qui depuis a étudié l’antique dans les galeries de Rome, est plus consciencieux et plus châtié que M. Chantrey, mais il n’a pas sa verve. Quelques critiques anglais l’ont néanmoins proclamé le premier des statuaires nationaux. M. Gibson n’a de national que le nom ; ses procédés comme artiste sont tout italiens. Émule un peu froid des Bartolini et des Tenerani, il nous paraît avoir donné dans le défaut commun aux statuaires de l’école de Canova : il cherche la grace dans la rondeur des formes, et fait résider la majesté dans la froideur, je dirais presque dans l’insignifiance de la ligne.

La plupart des autres statuaires dont nous venons de citer les noms, et, en général, tous les statuaires de l’école anglaise, ne sont guère que des faiseurs de bustes plus ou moins habiles ; et s’ils entreprennent une statue, il est plus que probable que cette statue sera encore un portrait : la manie du portrait s’est emparée de l’Angleterre, où chaque citoyen veut avoir son image reproduite sur la toile ou avec le marbre. M. Baily, qui débuta par un beau groupe d’une femme endormie tenant un enfant qui se presse sur son sein, est le plus en vogue de ces faiseurs de portraits. Il a tenté d’élever le genre jusqu’à la hauteur d’œuvres monumentales. On nous assure que les statues colossales de sir Pultney Malcom et de sir Astley Cooper, qu’il vient d’achever, ont atteint le but qu’il s’était honorablement proposé. Nous le souhaitons. M. Baily paraît avoir hérité de la popularité de M. Chantrey : espérons qu’il évitera le déplorable abus du talent auquel cet artiste s’est abandonné.

Nous ne dirons qu’un seul mot de l’architecture chez les Anglais, c’est qu’il est incroyable que, dans un pays où l’on alloue jusqu’à un million sterling (25 millions de francs) pour la construction d’un édifice, cet art soit tombé à l’état d’entreprise et de métier où nous le voyons aujourd’hui. Nous concevrions encore qu’obéissant au matérialisme de l’époque, les architectes aient pu souvent sacrifier la grandeur et l’élévation du style à la convenance ; mais cette convenance elle-même ne se retrouve nulle part, pas plus dans les édifices