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LES ARTS EN ANGLETERRE.

goût régnant s’il prospère, et qui songe avant tout à caresser l’amour-propre national, achèvera sa ruine. Au lieu de répéter aux artistes de Londres qu’en dépit des rivalités de Paris et de Munich, ils ont porté l’art tout aussi haut qu’ailleurs, et de citer comme preuve de cette supériorité artistique le grand nombre de peintres[1] et le prix élevé qu’on paie leurs tableaux, la critique remplirait plus noblement la haute mission qu’elle s’est attribuée, et se montrerait vraiment fidèle à ses devoirs, en combattant la pernicieuse influence du matérialisme régnant, en exhortant les artistes à secouer le joug funeste de la mode. Il faudrait que ceux qui se constituent leurs juges fussent francs avec eux, et que, tout compatriotes, tout anglais qu’ils sont, ils reconnussent leurs défauts et ne craignissent pas de les leur montrer. Un des plus grands génies des temps modernes l’a proclamé du haut de la chaire : « Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement. » Dans l’intérêt de l’homme de talent lui-même, il faut donc savoir mettre le doigt sur ses imperfections, au lieu de les voiler complaisamment. « Les plus expérimentés font des fautes capitales, » ajoutait le grand orateur ; cette pensée adoucira toujours les blessures de l’amour-propre, si aisément cicatrisées.

« Essayez de rabaisser le génie, il se relèvera comme un géant ; tentez de l’écraser, il se montrera un dieu. » Ces paroles de M. le professeur Haydon, dont nous avons apprécié les ouvrages, et que cite complaisamment M. Bulwer, adversaire déclaré des influences académiques, doivent rendre la critique plus confiante et lui ôter tous vains scrupules, certaine qu’elle est de ne porter de coups mortels qu’à la médiocrité. Maintenant, en admettant d’un côté une critique franche et forte qui ne ménage pas les vérités nécessaires, et de la part des artistes le parti bien pris de secouer la tyrannie de la mode et de remonter aux grands principes, c’est-à-dire à l’étude des beaux modèles de l’antiquité, des grandes écoles modernes, et à l’étude de la nature, existe-t-il pour l’école anglaise de véritables élé-

  1. Écoutons plutôt l’aveu de l’un des premiers critiques du jour en Angleterre : « Un courtier de locations, montrant il y a quelque temps une maison à louer à l’un de mes amis, en faisait un éloge magnifique qu’il acheva dans ces termes : Ce n’est pas tout, monsieur ; quand on aura achevé de décorer le salon avec de beaux rideaux rouges et douze beaux tableaux meublans, il n’y en aura pas un pareil dans tout Londres. Les tableaux lui paraissaient indispensables comme les rideaux rouges. » Ce qu’il y a de curieux, c’est que M. Bulwer considère cette production de tableaux meublans comme un moyen légitime d’encourager l’art et d’en répandre le goût.