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N’ayant pour mobile ni la tradition religieuse, brusquement interrompue par la réforme, ni l’exaltation métaphysique, inconnue à la nation anglaise, tout autrement positive que la nation allemande, l’art, en Angleterre, a dû surtout sacrifier à la fantaisie et au caprice. Les peintres anglais se sont, en effet, attachés à reproduire soit les chants des poètes, épopées antiques, drames ou ballades modernes, soit les épisodes de la vie réelle, soit même, à défaut d’autres inspirations, les scènes de la nature inanimée dans leur majestueuse magnificence ou dans leur simplicité native. Abstraction faite de l’idée religieuse commune à tous les peuples de l’Italie, l’art anglais a donc une analogie des plus marquées avec l’art vénitien. Il a dû préférer l’éclat du coloris à la pureté de la forme. Il s’est également soumis aux influences voisines de l’école hollandaise. Avant tout, il a donc été imitateur. Titien, Rubens et Rembrandt sont les trois grands guides de l’école anglaise contemporaine. Les artistes anglais n’ont pu, comme ceux de l’Italie, couvrir d’images consacrées les murs des saints édifices et jeter tour à tour dans l’ame des peuples l’adoration ou la terreur. Ils n’ont point tenté, comme en Allemagne, de reproduire et de populariser des symboles. Nul rival de Schwanthaler n’a songé, sur les bords de la Tamise, à traduire dans des frises théogoniques les systèmes de panthéisme d’un Schelling. L’histoire du moyen-âge, mais surtout l’histoire anecdotique, Shakspeare, les poètes contemporains et le spectacle de la nature ont particulièrement inspiré les peintres de la Grande-Bretagne. Sous ce rapport, l’école anglaise s’en est encore tenue à l’imitation.

Des deux modes d’imitation que l’art peut se proposer, l’imitation précise ou prosaïque, et l’imitation large et poétique, les artistes anglais ont de préférence adopté le dernier. Ceux qui se sont occupés de théorie, comme Reynolds, Hogarth, Westmacott et Howard, se sont accordés, il est vrai, pour recommander l’imitation de l’antique et prêcher les pures doctrines classiques ; mais, quand il s’est agi de produire, les docteurs semblent avoir complètement mis en oubli leurs préceptes rigoureux, et n’ont souvent écouté que les caprices de l’imagination la plus fantasque. En peinture, il faut, à l’aide de moyens en apparence fort bornés, non-seulement faire saillir les corps d’une surface plane et donner à chaque objet les dimensions voulues ou la forme ; il faut encore lui donner la vie, c’est-à-dire la couleur, l’expression et le mouvement. Les artistes anglais n’ont envisagé l’art que sous ce seul et dernier point de vue, et le mépris de quelques-uns, parfois des plus renommés, pour la forme, est sou-