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promenade et à la conversation, et où saint Augustin et ses amis allaient chercher un abri les jours de pluie ; ces études consacrées avec Trigece et Licent à la littérature ancienne, tout cela faisait à saint Augustin et à ses amis la vie la plus douce et la plus heureuse qu’ils pussent imaginer. Aussi, les souvenirs de Cassiaque leur furent toujours chers, et dix ans après, Licent s’écriait, dans une épître :

« Ô mihi transactos revocet si pristina soles
« Lœtificis aurora rotis, quos libera tecum
« Otia tentantes et candida jura bonorum,
« Duximus Italiæ medio montesque per altos !

« Ah ! pourquoi l’aurore ne peut-elle pas nous ramener sur son char plein de joie ces belles heures passées dans la liberté des gens de bien et dans le loisir de l’étude, au milieu de l’Italie et au sein des montagnes ! »

Les ouvrages que saint Augustin fit dans cette heureuse retraite ont, si je ne me trompe, un caractère particulier de grace et de douceur. Ils se sentent plus que les autres, même dans le style, du commerce de l’antiquité. Occupé à Cassiaque du soin de former à la sagesse chrétienne le cœur de ses deux disciples, Licent et Trigece, et de cultiver leur esprit, il méditait saint Paul ; mais il étudiait aussi avec ses élèves Cicéron et Virgile, et la contemplation de ces belles formes de l’éloquence et de la poésie latines, sans altérer la piété de sa pensée, donnaient à sa phrase un charme et une élégance qu’il n’a pas toujours retrouvés. Ils lisaient l’Hortensius de Cicéron, que nous avons perdu et qui était le livre qui avait le plus aidé Trigece et Licent à revenir à la philosophie[1]. Ils lisaient surtout Virgile que saint Augustin avait tant aimé et qu’il aimait encore[2]. Ils le citaient sans cesse dans leurs pieux entretiens, et saint Augustin ne craignait pas d’appliquer à la foi chrétienne les invocations païennes de son poète favori :

« Sic pater ille deum faciat, sic altus Apollo,
« Incipias !
 »

s’écrie-t-il en commençant son entretien sur l’ordre avec ses élèves.

  1. « Præsertim cum Hortensius liber Ciceronis jam eos ex magna parte conciliasse philosophiæ videretur. » (Acad., p. 425.)
  2. « Dies pene totus cum in rebus rusticis ordinandis, tum in recensione primi libri Virgilii peractus fuit. » (Acad., p. 432.) « — Septem fere diebus a disputando fuimus otiosi, cum tres tantum Virgilii libres post primum recenseremus. » (Ibid., p. 445.)