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d’Hérode de lui préparer un bain, et la méchante femme la renvoie durement. Mariette prie alors son bon cheval de lui faire, avec son souffle, un bain de vapeur, et le cheval obéit, et la douce vierge, réchauffée par l’haleine de l’animal fidèle, donne le jour à un charmant enfant. Sa première pensée est de le porter au prêtre, son premier soin de le faire baptiser. Alors Wæinemœinen s’avance, Wæinemœinen qui prévoit l’avenir, et il s’écrie : Il faut conduire cet enfant dans le marais, lui écraser la tête, lui briser les membres avec un marteau. Le petit enfant, âgé de deux semaines, lui dit : Tais-toi, vieux magicien de la Carélie ; cette fois, tu as mal interprété la loi ; tu as prononcé un sot jugement.

Le prêtre baptise l’enfant, qui devient roi de la forêt, maître des îles riches et fécondes. Le vieux Wæinemœinen se retire triste et confus, se construit un bateau de fer, navigue au loin, et se cache dans les régions inférieures du ciel ; mais, en s’en allant, il laisse à la Finlande sa harpe merveilleuse, sa harpe qui chante l’amour et réjouit le cœur. Ainsi finit l’antique épopée finlandaise, par une pensée d’espoir, par un mythe chrétien, par l’alliance intime de la nature avec la divinité du Christ. La nature est la base première, l’élément principal de cette poésie traditionnelle. C’est la beauté, la force, la grandeur de la nature que le rhapsode populaire de Finlande dépeint par ses personnifications ; c’est la lutte et l’action des élémens qu’il représente par des images symboliques. Ce rhapsode, on le voit, n’a point étudié dans les écoles ; un savant professeur ne lui a pas enseigné d’une voix doctorale d’où vient le tonnerre et d’où vient l’éclipse de soleil ; un habile grammairien ne lui a pas expliqué, dans ses phrases verbeuses, les merveilleux secrets du langage figuré, ni la science de l’abstraction. Enfant naïf de la nature, vivant avec elle et passionné pour elle, il ne s’est point étudié à rendre l’émotion qu’elle produit sur son esprit par des figures de rhétorique. Il regarde seulement et il admire. Il s’en va le soir le long des vallées, au haut des montagnes, il écoute le soupir du vent dans les forêts, le murmure plaintif des vagues qui tombent sur la grève, le bruit orageux de la cascade ; il contemple dans sa mélancolie les voiles d’azur de l’horizon lointain, les brumes épaisses de l’hiver, les rayons de pourpre de l’été, et il raconte avec enthousiasme tout ce qu’il a vu et entendu dans les rêves de sa solitude ; et lorsqu’un sentiment d’amour, une pensée de joie ou de douleur, un regret ou un espoir, s’éveillent dans son cœur, pour peindre les émotions qui l’agitent, il emploie les couleurs, les images de sa nature aimée. Il associe à ses chants de bonheur ou à ses larmes tous les êtres animés et inanimés qui l’entourent, le sol où il a vécu, les arbres avec lesquels il a grandi, le ruisseau qui baigne ses pieds, les nuages qui flottent sur sa tête, les astres qui l’éclairent. Ce n’est pas une idée panthéistique qui agit ainsi sur lui, non, c’est un sentiment plus naïf encore et plus intime : c’est l’alliance étroite et pour ainsi dire la fusion de son être avec les élémens. Ce ne sont pas les divinités des eaux, des bois, qu’il recherche et vénère ; c’est la nature