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plus graves et plus généreuses à demander à la musique ; mais ces inspirations, qui les trouve aujourd’hui ? et pour un ou deux qu’elles immortalisent, combien ne leurrent-elles pas ! Plutôt que de se consumer en efforts stériles, et de donner au monde le spectacle de notre impuissance, ne vaut-il pas mieux cultiver modestement le grain de talent et d’originalité que la nature a mis en nous ? Comme il n’appartient pas à tout homme sachant rédiger un morceau de fugue ou d’harmonie de se dire Mozart ou Beethoven, l’homme d’esprit en cette affaire est encore celui qui sait prendre bravement son parti et qui écrit le Postillon de Longjumeau, faute de mieux. Tant d’autres, artisans de plagiats énormes et de ridicules ébauches, croient avoir le génie, qui n’en ont que la défroque ! Ce qu’on aime dans la musique de M. Adam, c’est qu’elle ne cherche jamais à tromper son public ; facile et amusante, d’une gaieté ronde et pleine d’entrain, elle se donne à vous pour ce qu’elle est. Si M. Auber a l’esprit dans la grace et la distinction, on ne refusera pas à M. Adam la même qualité dans la sphère populaire. Ces deux maîtres me paraissent représenter assez bien la chanson française sous son double aspect de finesse élégante et de gaieté grivoise ; M. Auber, par exemple, serait Boufflers ; M. Adam, Collé, Panard ou Désaugiers, cette poignée de gros sel gaulois, ce refrain de bonne et vieille bourgeoisie, M. et Mme Denis, pourquoi pas ? — Un homme, contemporain des deux musiciens dont je parle, qui, aux avantages qui les distinguent, joignait le sentiment du grandiose et du vrai beau, c’est Hérold. Son Zampa, qu’on vient de reprendre, est un chef-d’œuvre qui restera parmi les monumens de l’école française. Vous retrouvez là, comme dans Méhul, de ces effets puissans, imprévus, solennels, de ces riches combinaisons des voix et de l’orchestre qui sentent le grand-maître, et cependant le genre est maintenu, les conditions de l’opéra-comique ne sont jamais outrepassées. À côté de la mélancolique ballade de Camille, de l’admirable duo de la fin, de ce chœur d’orgie au premier acte, qui, pour l’entraînement et la verve, n’a d’égal que le morceau bachique du Comte Ory, et peut-être encore occuperait dans l’art un rang plus élevé à cause du double caractère de la situation, viennent se placer comme contrastes l’entrée si bouffe de Dandolo, la scène si amusante des deux époux qui se rencontrent, l’air de Zampa, et tant de chansons originales, d’heureux motifs qu’on aimera toujours. J’ai souvent entendu regretter qu’Hérold n’eût pas conçu son œuvre dans les dimensions du grand opéra. Je crois au contraire qu’il devait procéder comme il l’a fait. En grandissant ses personnages, en s’efforçant de naviguer à pleines voiles vers le sublime, il entrait dans les eaux de Mozart, il appelait le paralèle avec Don Juan, écueil terrible du sujet et qu’il a su tourner avec esprit. Qu’on ne s’y trompe pas, l’effet de sa partition repose tout entier dans les limites restreintes qu’il s’est choisies. Il laisse don Juan dans son enfer et le commandeur sur son piédestal de granit, pour animer des figures moins épiques, de moins sublimes passions. Sa statue est une femme et ne dépasse guère la grandeur ordinaire, ce qui n’empêche pas que la phrase de trom-