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ou paraître échevelée en signe de démence, pourrait composer au besoin la scène qu’elle va chanter, et cela sans courir le risque de se tromper d’une note. Il y a dans cet acte une romance délicieuse qui passe furtivement entre deux duos et qu’on remarque à peine, bien que M. de Candia mette à l’exécuter le plus beau timbre de sa voix. Du reste, le jeune ténor des Italiens fait merveille dans ce rôle de mousquetaire ; il y est à ravir, et cela non-seulement à cause de sa voix, qui gagne tous les jours en étendue, en force, en expression, mais encore à cause de son jeu, de sa mise, et, disons-le, de son élégance personnelle. M. de Candia apporte dans ce rôle une tenue, un goût, des airs de gentilhomme qu’on n’a guère l’habitude de rencontrer au théâtre, et qui font voir que du moins cette fois il ne s’agit pas pour lui d’un costume d’emprunt. — Le troisième acte abonde en chœurs villageois, comme c’est naturel. Fillettes et garçons rentrent au pays après les temps d’épreuves, et je vous donne à penser si les airs joyeux manquent pour les accueillir. Laissons ces braves gens se festoyer les uns les autres, chanter à tue-tête, ou répondre au bavardage du marquis de Boisfleuri, qu’un trait de violons accompagne à la manière de Cimarosa, et venons-en tout de suite à la seule véritable inspiration de l’ouvrage. Qu’on se figure une phrase simple, élevée, d’un grand style, soutenue dans l’orchestre par les trombones, et que chante Lablache de toute la puissance de sa voix, de tout le pathétique de son ame, avec l’accent irrésistible de la conviction, et l’on aura peut-être une idée de l’effet produit par ce morceau que la salle tout entière redemande chaque soir. En unissant dans une si admirable harmonie la voix de Lablache et les cuivres, ces deux puissances dont il abuse trop souvent, M. Donizetti a prouvé qu’il n’ignore pas quel parti on peut tirer des forces sonores discrètement combinées, et le noble emploi qu’il en a su faire là rend, à mon avis, plus inexcusables encore les moyens excessifs qu’il met en œuvre d’ordinaire.

L’instrumentation de Linda di Chamouni porte partout les traces d’une savante et trop rare application. À part le bruit immodéré que nous blâmions, il n’y a qu’à louer dans la manière dont est traité l’orchestre. Finesse de détail, distinction dans le choix des motifs, dessins habiles, modulations ingénieuses, tout s’y retrouve, c’est l’œuvre d’un maître, et d’un maître qui prétend bien faire. Cette fois, M. Donizetti écrivait pour des Allemands, et je ne m’étonne pas que sa musique ait eu tant de succès à Vienne, où l’on se passionne aisément pour les combinaisons instrumentales. Celles de M. Donizetti ont le mérite d’être claires, attrayantes, faciles, en un mot tout italiennes, et relèvent de la mélodie plutôt que de l’hiéroglyphe. Si unanime qu’ait pu être à Ventadour le triomphe de la partition nouvelle, je doute que les applaudissemens avares de notre public parisien, de jour en jour plus à cheval sur ses réserves, fassent oublier au brillant maestro l’enthousiasme sans restriction du dilettantisme autrichien. En effet, ce qu’on ignore peut-être, c’est que Linda di Chamouni mit tout Vienne en émoi pendant près d’un an, et que les belles duchesses de l’empire raffolèrent de l’heureux chef-d’œuvre