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et plus riches, joue encore un rôle assez considérable et dont on devra tenir compte ; en un mot, s’il me fallait classer cette œuvre nouvelle parmi les innombrables productions de M. Donizetti, je n’hésiterais pas à la mettre au second rang, qu’elle occuperait, il me semble, assez bien à côté de Marino Faliero et de l’Elisir d’amore. Je citerai comme une inspiration charmante la cavatine de Linda, au premier acte, dite si merveilleusement par la Persiani, et que je comparerais presque, pour la fraîcheur et l’élégance, à la polonaise des Puritains. À propos des Puritains, remarquons en passant que certaines formes adoptées par Bellini dans son dernier chef-d’œuvre se trouvent reproduites dans Linda di Chamouni avec un laisser-aller vraiment trop familier. M. Donizetti a pour l’imitation un malheureux penchant qu’il semble encourager de toutes ses forces, au lieu de le combattre. Dès qu’un moyen réussit, il s’en empare et le répète sans réfléchir si les convenances du drame où il l’importe s’y prêtent le moins du monde. On se souvient du formidable duo des Puritains, et de son retentissement universel ; c’était là une musique de cyclopes, une boutade peu digne d’un génie élevé, mais qui trouvait peut-être son excuse dans la nouveauté de l’effet, que sais-je ? peut-être aussi dans l’énergie de la situation. À tout prendre, deux soldats de Cromwell chantant la guerre, deux têtes-rondes en alarme, pouvaient se permettre ces débauches de voix. Maintenant, le croira-t-on ? ce duo terrible, ce furieux unisson de Lablache et de Tamburini, M. Donizetti n’a rien eu de plus pressé que de le reproduire au premier acte de Linda. Dieu merci, on ne dira pas cette fois que la pompe musicale de la situation rendait indispensable un pareil déploiement de forces. De quoi s’agit-il en effet ? Un curé de campagne annonce au plus vertueux, comme aussi au moins clairvoyant des Auvergnats, que sa fille est sur le point d’être séduite par un jeune gentilhomme du voisinage. Aussitôt l’ophicléide gronde, les trombones mugissent, les timbales roulent, et les voix de Lablache et de Tamburini sonnent le tocsin. Eh quoi ! tant de bruit, Seigneur ! pour la plus simple des idylles ! tant de vacarme pour une bergerie à laquelle eût suffi le rustique appareil d’une cornemuse Si c’est ainsi que M. Donizetti traite ses pastorales, quelle artillerie tient-il en réserve pour son prochain grand opéra ? J’aime mieux, et de beaucoup, le duo qui précède entre la Persiani et M. de Candia. Linda et Carlo qui se content leur peine amoureuse et se jurent eterna fede ; la phrase, plusieurs fois ramenée dans le courant de l’ouvrage, en est gracieuse et touchante, par malheur, on se surprend à songer malgré soi au ravissant duo qui termine le premier acte de Lucia. Les personnages, la situation, tout vous y reporte, il ne manque au souvenir que la poésie du moment, que le romantisme de la scène, devenu aujourd’hui prosaïque. On se demande alors où sont Rawenswood et la fille d’Ashton, ces deux nobles jeunes gens de Lammermoor qu’on voudrait voir là sous ses yeux, à la place de ces tristes figures de cire du mélodrame, et cette phrase vous revient si entraînante, presque sublime d’élan et de tendresse, qu’ils se chantaient après avoir échangé leurs anneaux,