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REVUE MUSICALE.

tait-il pas d’avance aux boulevards avec la musique de Mlle Puget ? à quoi bon le refaire ? Quelle cavatine à grand orchestre effacera jamais le refrain consacré ? Supposez un mélodrame construit sur les couplets de Marlborough, et dites si vous trouverez un maître, s’appelât-il Rossini ou Meyerbeer, capable de se mesurer avec la complainte ? D’ailleurs, quels avantages la poésie et la musique ont-elles à retirer de ces excursions aux boulevards ? Faut-il que les violons s’accordent pour nous apitoyer sur les infortunes de Fanchon ou de Pierrot, et ne serait-il pas mieux de laisser tous ces pauvres diables à leurs marmottes ? Que le chevalier Dalayrac écrivît, il y a cinquante ans, les Deux petits Savoyards, à la bonne heure ! Mais depuis Guillaume Tell et Robert-le-Diable ont paru, et Donizetti lui-même a fait la Lucia. Si quelque chose répugne à l’inspiration musicale, c’est à coup sûr le terre-à-terre et l’élément prosaïque et bourgeois qui domine dans les pièces de ce genre. Il faut à la musique des situations précises, des caractères nettement accusés, le bouffe ou le tragique, ses deux véritables conditions de vie et de puissance qu’elle cherche toujours, à moins d’être complètement abâtardie et stérile, à travers la sentimentalité larmoyante et le comique faux où vous prétendez la retenir.

La musique de M. Donizetti se ressent du caractère monotone ou plutôt de l’absence de caractère du poème. Si par hasard l’inspiration lui vient, vous la voyez sortir aussitôt du triste milieu qu’elle s’est choisi et trancher dans la couleur peut-être un peu plus qu’il ne convient. Gardons-nous toutefois de l’en trop blâmer. Mozart lui-même n’a pas fait autrement. Ainsi, dans les Noces de Figaro, lorsqu’il se trouve de ces nuances que la musique ne peut rendre, il idéalise, et les personnages de comédie grandissent à des dimensions héroïques. Du moins, dira-t-on, avec le chef-d’œuvre de Beaumarchais, le musicien avait beau jeu. Almaviva, Rosine, Suzanne et le divin page, c’étaient là des figures qui se prêtaient au travestissement ; élevez d’un ton la gamme de ces passions un peu bourgeoises, et vous avez la poésie. Mais que faire de ces malheureux Savoyards à besace, et quel parti reste à prendre à la musique fourvoyée en semblable compagnie ? Sans être Mozart, M. Donizetti a usé du procédé du maître, et, si nous avons un reproche à lui adresser, c’est d’en avoir usé trop peu. Ainsi, par moment, le tragique et le bouffe lui viennent en aide : sa Linda est une Lucia, son marquis de Boisfleuri un grotesque de la famille de don Magnifico ; il n’y a pas jusqu’à son Auvergnat, si sublime et si paternel dans sa veste grise et ses souliers ferrés, qui n’ait, en maudissant sa pauvre fille, quelque velléité de ressembler à l’illustre Vénitien père de Desdemone.

La partition de Linda di Chamouni, tout incomplète qu’elle est, a le mérite d’être écrite avec soin et rappelle en maint endroit, dans M. Donizetti, l’heureux auteur d’Anna Bolena et de la Lucia, que ses dernières improvisations, tant à l’Académie royale qu’à l’Opéra-Comique, avaient pu faire perdre de vue. La mélodie, bien qu’elle ait rencontré des veines plus abondantes