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à une détermination réfléchie ou bien à un oubli involontaire. Est-ce que, par exemple, l’intention du royal auteur de ce monument, qui a donné une si large part de représentation à la poésie, à la littérature et à la musique, est d’exclure de ce panthéon la philologie et l’érudition, qui, depuis un demi-siècle surtout, soutiennent presque uniquement l’honneur littéraire de la nation allemande ? Tandis qu’à côté de Weimar, veuve des hôtes illustres qui en firent dans le siècle passé l’Athènes de l’Allemagne, vingt universités fleurissent par le génie de la science, est-ce que ce grand mouvement de la pensée publique, où le savoir remplace l’imagination, ne doit point trouver sa représentation à la Walhalla ? Eckhel, l’oracle de la numismatique ; Heyne, le grand critique, le fondateur de l’école de Goettingue ; Niebuhr, l’exact et patient voyageur, en qui le génie de l’observation se montra si bien guidé par l’étude ; Valckenaer et Hemsterhuis, ces deux puissans chefs de l’école de Leyde, ces deux grandes lumières de la philologie allemande, ne rappelleraient-ils pas à la Walhalla des titres de gloire aussi solides et aussi brillans que tous ceux qu’on y admire ? Et tout ce qui honore aujourd’hui l’Allemagne ne doit-il pas trouver, dans ce temple de la Gloire, un modèle dans le passé et une place en perspective ?

Je m’arrête ici : il y aurait trop de choses à dire sur ce sujet, trop de grands noms à citer et de réparations à demander, et l’on doit attendre que le monument se complète par l’effet de la même volonté qui l’a créé. Maintenant, ce qui résulte pour moi de l’impression générale que j’ai emportée de la Walhalla, c’est qu’il y a là une grande pensée, une de ces pensées qui font travailler les esprits et avancer les peuples, une de ces pensées qui viennent du cœur et qu’on aime à voir descendre du trône. C’est un monument où une haute intelligence se révèle d’abord par la destination même de l’édifice, qui est d’honorer l’humanité, où tout est d’accord dans le plan comme dans la décoration, où l’unité se montre par la volonté de l’ordonnateur comme par le travail de l’artiste ; un de ces monumens, enfin, qui répondent à un sentiment public en appliquant à l’expression d’une idée morale tous les moyens de l’art employés avec tout le luxe de la monarchie. Et quand je pense que, chez nous, avec cette foule d’hommes de talent, avec les ressources d’une si grande nation, on ne construit guère d’édifices que pour remuer des pierres, dépenser des millions et occuper des ouvriers, et qu’on entasse tant de matériaux, qu’on enfouit tant de richesses, sans pouvoir produire un monument, je regrette presque ce que je suis venu voir, en songeant à ce que je vais retrouver.


Raoul-Rochette.