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nobles instances qui donnent à l’autorité publique un rôle de tutelle morale qu’elle ne prend pas assez souvent ; mais, il est douloureux de le dire, le succès couronne rarement ces pieuses tentatives. Le vice est déjà si profondément enraciné, quand se présente la dernière et déplorable ressource de l’inscription officielle, que le cceur est fermé à tout remords, à tout sentiment moral. Les familles sont découragées, indifférentes ou indignées. L’inscription est donc effectuée : aussitôt celles qui en ont été l’objet sont assujéties à toutes les mesures que la police prescrit, touchant leur costume, les heures où elles peuvent quitter leurs demeures, celles où elles doivent y rentrer, les lieux qui leur sont interdits, leur tenue dans le public, etc. ; ces mesures tendent, dans leur ensemble, à éviter le scandale, à protéger contre des attentats trop fréquens ceux que la débauche attire et que le vol et parfois le meurtre attendent, à soustraire les passans, les promeneurs, à d’audacieuses et repoussantes provocations. D’autres dispositions, dont l’énumération serait impossible, sont prises dans un intérêt sanitaire, pour arrêter ou restreindre les progrès d’une infection qui semble comme un frein imposé à ceux que de plus dignes obstacles n’arrêtent point sur la pente de l’immoralité.

Ces injonctions multipliées, consignées dans des règlemens, inscrites sur des cartes remises après l’inscription, ont pour sanction la peine d’emprisonnement attachée à toute infraction, et qui s’étend parfois même au-delà d’une année. Chaque jour, plusieurs de ces condamnations sont prononcées par le préfet, sur le rapport de ses bureaux, sur le vu des procès-verbaux dressés par les inspecteurs de la police, et des interrogatoires subis par les inculpées. Cette justice sommaire, à huis clos, exceptionnelle, unique dans notre régime légal, se fonde sur d’anciens règlemens, sur de longs usages, elle reçoit une exécution non contestée, et, tant est puissante la voix de la morale et de l’opinion dans ce temps où toutes nos institutions, même les mieux établies, ont été mises en question, pas une plainte ne s’est fait entendre contre l’exercice d’un pouvoir qui ne repose sur aucun texte de loi.

On a plusieurs fois tenté d’aggraver la rigueur des règlemens établis contre la prostitution. M. Mangin se livra à des essais de ce genre ; les obstacles qu’il opposa à la prostitution autorisée étendirent le cercle de la prostitution clandestine ; quand l’inscription officielle ne produit que des entraves, quand elle soumet à la gêne, à la prison, sans aucune compensation, elle est redoutée, évitée, combattue comme une odieuse tyrannie. La prostitution clandestine, à son