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GOETHE ET LA COMTESSE STOLBERG.

les années seulement, mais aussi d’indicibles souffrances qui ont blanchi ma tête avant le temps. Cependant jamais n’a chancelé une minute ma confiance en Dieu, mon amour ardent pour mon Sauveur. — À chaque fléau qui m’atteignait, j’entendais une voix s’écrier du fond de mon être : Dieu fait tout pour le mieux. — Le Dieu de ma jeunesse est resté le Dieu de mes vieux jours. — Autrefois, quand nous nous écrivions, j’étais la plus heureuse créature qui fût sur la terre ! Riche par mes parens, adorée des meilleurs des frères, plus tard, la compagne bien-aimée de l’époux de mon cœur ! — Mais, hélas ! quelles épreuves m’attendaient ! le seul enfant auquel j’aie donné la vie, un garçon de quatre ans, mon amour, mon orgueil de mère, — puis-je dire que je le perdis ? Ce qui fut un gain pour lui, mon cœur maternel n’a jamais pu le regarder comme une perte, il gagna le ciel ; pour moi seule fut la douleur, et, dans l’excès de ma souffrance, je remerciai Dieu. — Plus tard, je perdis mon mari ; oh ! ce fut là un coup affreux, une douleur à laquelle rien ne se compare. Cependant mes frères me restaient. Oh ! mes nobles frères, chéris au-delà de toute expression, un torrent m’emporta le plus jeune et brisa pour l’avenir l’organisation jeune encore de l’aîné. Cette perte cruelle suivit l’autre de si près, que je me sentis comme veuve une seconde fois. Même en mon désespoir, je bénis Dieu qui me les rendra tous dans son royaume, frères, époux, amis, enfant. Goethe, cher Goethe, faites aussi que j’emporte avec moi l’espérance de vous y retrouver. Encore une fois, je vous en supplie, vous ne repousserez pas celle que vous nommiez jadis une amie, une sœur. Je vous en supplie, éprouvez à quel point le Seigneur est bon et miséricordieux, et quelle joie attend celui qui se confie à lui.

« Je désire que ceci reste entre vous et moi. — Me répondrez-vous ? Je voudrais bien savoir où vous êtes, ce que vous faites. Je vis pour la plupart du temps retirée à la campagne. Ma chère nièce, la fille de mon plus jeune frère, est auprès de moi. Elle a treize ans ; c’est mon amour et mon bonheur. Je vous tends la main ; votre souvenir ne s’est jamais éteint en moi, et mon intérêt pour vous reste le même. Je fais des vœux pour votre vrai bonheur, et, tant que je vivrai, ne cesserai de prier pour vous ; fasse le ciel que votre ame s’unisse à la mienne ! Mon Sauveur est aussi le vôtre ; en dehors de lui, il n’y a ni salut ni félicité. Vous souviendrez-vous encore de moi ? Je vous en prie, écrivez-moi deux mots. »

Puis en post-scriptum.

« Après être resté quelque temps sans m’écrire, vous me demandiez autrefois, dans une de vos lettres, de renouer le fil de notre amitié, ajoutant qu’il n’y avait qu’une femme pour s’acquitter d’un pareil emploi. Eh bien ! le voilà renoué, ce fil, ô Dieu ! et puisse-t-il s’étendre jusque dans l’éternité ! — Adieu donc, et ne méconnaissez pas mes intentions. »

Voici maintenant quelle fut la réponse de Goethe :

« J’ai été sensiblement ému de recevoir un si doux souvenir de l’ancienne