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GOETHE ET LA COMTESSE STOLBERG.

elles. La vieille comtesse a dans sa manière de s’exprimer une certaine solennité qu’on serait parfois tenté de prendre pour du pédantisme ; mais ce ton de réserve absolue, cette façon de se tenir en garde contre toute vivacité inopportune sont des particularités essentielles que je ne saurais oublier dans ce portrait. — J’aurai toujours devant les yeux ses beaux cheveux blancs argentés par l’âge et ce noble front qui semble déjà ne plus donner asile aux émotions terrestres… »

On conçoit, d’après cela, que de cruels mécomptes attendaient dans la vie cette femme, ardente amie, non moins que zélée protestante, et suivant, du fond de sa croyance austère et puritaine, Goethe pas à pas dans son développement intellectuel. Il suffit de parcourir l’œuvre de ce génie superbe, en lutte ouverte avec toute espèce d’autorité sacerdotale, et qui haïrait Dieu s’il le lui fallait voir sous le dogme d’une religion, pour sentir dans quelles perplexités, dans quelles angoisses dut tomber à son sujet une ame dévotement préoccupée du souci de l’éternité. Et sans aller chercher bien loin nos exemples, quel sens pouvaient avoir aux yeux de l’épouse fidèle les Affinités électives, de la protestante scrupuleusement attachée aux principes de la Bible, tant d’autres pièces qu’en dehors du point de vue philosophique on prendrait pour des défis jetés à l’impiété et à l’athéisme ? Se figure-t-on l’amertume que doit endurer une ame sincèrement vouée aux pratiques de la religion en voyant à ses côtés un être qu’elle affectionne se damner de gaieté de cœur ? À l’aspect de ce vieillard qui marchait ainsi vers l’éternité la tête haute et le cœur libre, gardant jusqu’à la fin son franc parler sur tout et ne reniant rien, la noble amie eut peur. Tant de raison aux portes du sépulcre l’épouvanta ; il est des momens où le calme d’un esprit fort peut être pris pour du vertige. Auguste tremblait pour l’ame de Wolfgang. Vingt fois elle fut tentée de lui venir en aide au bord de l’abîme, de lui jeter du fond de sa retraite une de ces paroles que la voix dit à Saul sur le chemin de Damas ; mais je ne sais quelle fausse honte, quelle crainte de voir sa démarche mal interprétée l’avait toujours retenue ! À la fin, cependant, son trouble augmente, elle songe au remords qui pèserait sur elle, si l’avertissement arrivait trop tard et sa conscience, assumant charge d’ame, lui dicte cette lettre qu’elle adresse à Goethe sur-le-champ.