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GOETHE ET LA COMTESSE STOLBERG.

les évènemens, et tâchons d’éclaircir les motifs qui séparèrent, dans la maturité de l’âge et de la vie, ces deux grandes ames, instinctivement portées l’une vers l’autre, et dont les sympathies, refoulées, mais non mortes, avaient encore à dire leur dernier mot dans une occasion bien solennelle.

Et d’abord, sans trop creuser le fond des choses, les mille occupations nouvelles qui sollicitèrent tout à coup l’activité de Goethe, ne devaient plus beaucoup lui permettre de s’oublier ainsi à tout moment dans les aimables causeries d’une correspondance féminine. Au milieu de tant d’affaires hétérogènes auxquelles sa nature, à coup sûr, pouvait suffire, mais dont la vie qu’il menait à Francfort ne lui avait nullement donné l’expérience, c’en était assez pour lui que de se reconnaître. Quoi qu’il en soit, avec cette correspondance se relâchèrent tous les liens qui l’attachaient à la famille Stolberg. Un manque de parole de Frédéric-Léopold au grand-duc de Weimar commença, nous l’avons dit, à l’indisposer contre les deux frères, dont celui-ci, le plus jeune, était son favori. Le grand-duc Charles-Auguste, alors occupé à former autour de lui ce groupe d’esprits distingués dont son règne s’honore, avait offert au comte Léopold de prendre du service à sa cour. Léopold, flatté des avances du prince, s’engagea, puis, détourné par je ne sais quelles représentations acrimonieuses du vieux Klopstock, qui prétendait craindre pour son élève le séjour de Weimar, il changea brusquement d’opinion, et ne prit même pas la peine de motiver son refus. C’en était assez pour que Goethe, inexorable sur l’étiquette (et il y avait plus ici qu’un manque d’étiquette), ne lui pardonnât jamais. D’ailleurs, si on l’a remarqué, les relations qui existaient entre lui et les frères Stolberg n’avaient rien de bien sentimental. Nés aux deux extrémités de l’Allemagne, des affinités intellectuelles furent le seul mobile qui les rapprocha. Il n’y eut rien, dans cet attachement de passage, dans cette liaison de plaisir et de mode, rien de cette estime raisonnée, de cette habitude de vivre ensemble qui fondent la vraie amitié. Goethe et les Stolberg s’étaient rencontrés, non connus. Aussi s’explique-t-on sans peine comment, en les perdant de vue, Goethe les relégua au second plan de ses souvenirs, un peu dans le fond du tableau dont la jeune cour de Weimar occupait le devant. De leur côté, les Stolberg en firent autant. Christian, devenu bailli à Tremsbüttel, Frédéric-Léopold, aussi dans les emplois, l’un et l’autre avaient dit adieu aux rêves de jeunesse. Pour la comtesse Auguste, elle continua à vivre de la vie de famille, et, vers trente ans, épousa