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qu’un éclair de la montagne, qu’un de ces feux follets que l’éloignement et l’absence ravivent. D’ailleurs, en passant par Heidelberg, il avait vu sa sœur, qui ne lui épargnait pas les remontrances, et, depuis son arrivée, les lettres de cette quinteuse personne, qui semble jouer dans ce petit roman le rôle d’une lady Ashton, ne faisaient que fomenter l’irrésolution dans son esprit. Aussi long-temps qu’avait duré l’absence, il avait cru plutôt à une séparation qu’à une rupture. Sur le lac de Zurich, parmi les neiges du Saint-Gothard, ses souvenirs, ses souhaits, ses espérances, avaient eu leur libre jeu. Au retour, tout changea ; et, si c’est le ciel pour deux amans que de se revoir sans contrainte après l’absence, il n’y a pas d’enfer comparable au supplice de deux êtres qui s’aiment, et qui sentent, en se retrouvant, qu’une force inexorable les sépare. En renouant avec Lili, Goethe devait retrouver dans son entourage les mêmes contraintes, plus irritantes désormais, plus insupportables, et dès le premier jour, en la revoyant, il sentit qu’elle était perdue pour lui.

À cette époque s’ouvre vraiment une période de trouble et d’anxiété, une de ces crises de jeunesse qu’on pourrait comparer à l’ébullition du vin qui fermente. Comme le nouveau vin, le sang généreux se dépouille alors des fumées qui l’embarrassent et s’apprête à vieillir ensuite noblement. Cette transition de la jeunesse à la maturité, espèce de fièvre morale à laquelle plus d’un esprit succombe, est ici d’autant plus intéressante à étudier, qu’on sait d’avance qu’elle va se résoudre dans le calme olympien de Weimar. Sans cesse ballotté entre l’idée de cet amour auquel il ne peut se décider de renoncer et le soin de son avenir qu’il tremble d’engager, il va de Lili à Egmont : il s’enferme huit jours avec résolution, écrit le premier acte qu’il lit à son père ; puis, n’y tenant plus, il court après un regard, et si au spectacle, au concert, au bal, ses yeux rencontrent les yeux de Lili, si cette blanche main si bien gantée effleure la sienne, son cœur déborde, et le voilà redevenu fou. Inquiet, tiraillé, malheureux au fond, la seule providence qui le dirige encore au milieu de tant de confusions et de dissonances, c’est la comtesse Stolberg, sa chère Auguste, qu’il aime de tous les amours, comme on aime une femme qu’on n’a jamais vue. Il lui écrit lettres sur lettres ; tantôt passionné comme Werther, tantôt affectueux et tendre comme un frère, tout ce que ce feu qui s’éteint laisse dans son ame de mélancolie, d’humeur, de découragement, se reflète dans ces petits billets tracés à la hâte sur un coin de table, sur ses genoux, comme cela se trouve. Et c’est ce qui fait que cette correspondance, sans