Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/754

Cette page a été validée par deux contributeurs.
750
REVUE DES DEUX MONDES.

de Le Nôtre et des peintres de l’école de Watteau. On éleva des colonnades, des terrasses, des voûtes, des escaliers magnifiques ; on décora l’intérieur des appartemens de tout ce que le mauvais goût, aidé par le trésor impérial, pouvait imaginer de mieux pour suppléer à l’art : ici des salons en nacre de perle, en laque de Chine, en lapis-lazuli, là des boudoirs couverts d’ambre, partout des meubles d’une recherche splendide.

Une partie du parc a été dessinée d’après les règles symétriques des beaux jours de Le Nôtre, une autre façonnée en forme de jardin anglais. Tout a été employé pour lui donner l’apparence la plus pittoresque ; là où il n’y avait autrefois qu’une terre aride et fangeuse, on a planté des bois, tracé des routes tortueuses, semé des gazons, creusé des pièces d’eau. On a formé, à force de patience et de travail, des allées d’arbres presque touffues, et des points de vue qui ont la prétention de paraître imposans et sauvages. Inutile de dire que le promeneur retrouve là tout ce qui entre dans le procédé de fabrication d’un parc anglais bien organisé, ponts couverts, sources artificielles, fermes suisses, tours gothiques. De plus on a l’agrément de découvrir, en errant de côté et d’autre, des mosquées turques, des obélisques égyptiens, un village chinois, une colonne élevée en commémoration d’une victoire d’Orloff, et non loin de cette colonne historique un monument de deuil et de regret, la tombe des chiens favoris de Catherine et leur marbre funèbre, sur lequel trois courtisans de l’impératrice, M. de Ségur en tête, ont fait graver une longue épitaphe pour les recommander à l’amour de la postérité. Si les nymphes des eaux et des bois, les divinités austères de la nature du Nord, ne sont pas satisfaites de tous ces embellissemens, il faut convenir qu’elles sont bien difficiles.

Quand on a vu l’une après l’autre ces fades ou prétentieuses inventions d’une époque de luxe et de galanterie, on aime à se reposer dans la maison de la ferme, qui est meublée très simplement et renferme pourtant un vrai trésor, une collection de quelques-uns des meilleurs tableaux de Paul Potter, Berghem, Dujardin. Le bâtiment le plus curieux à visiter est un arsenal gothique consacré aux souvenirs du moyen-âge et à des souvenirs de guerre plus récens. Une des salles de cet édifice renferme une nombreuse collection d’armes et armures, cottes de mailles, arquebuses, fusils, pistolets ciselés, de l’Europe occidentale et de l’Orient ; des boucliers, œuvre charmante de quelque Benvenuto ignoré ; des sabres et des poignards façonnés avec amour par les artistes de la Perse et du Caucase ; une bibliothèque composée tout entière de poèmes du moyen-âge, d’ouvrages français, anglais, allemands, relatifs à la chevalerie, à ses lois et à ses mœurs. Dans une autre salle, douze chevaliers armés de pied en cap et assis sur leurs chevaux caparaçonnés représentent les douze preux de la Table-Ronde. Une troisième renferme les présens offerts à l’empereur de Russie par le sultan, chaque fois que ce pauvre sultan a perdu une bataille et livré une partie de ses états, et quels présens ! des housses et des selles tissues d’or et d’argent, étincelantes de