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dévasté, incendié, fut pour Pétersbourg un jour de douleur générale. Il semblait que chacun eût perdu sa propre maison en perdant cet édifice, orgueil de la ville, et des milliers de citoyens demandèrent spontanément à le rebâtir à leurs frais. Le comte Barincky offrit à l’empereur un million de sa fortune pour aider à cette reconstruction. Un pauvre marchand offrit avec empressement une somme de quinze cents roubles, fruit de ses travaux et de ses épargnes. Deux jours après l’incendie, Nicolas traversait une rue, seul, dans son léger droschky. Un homme portant la longue barbe et le caftan de moujik accourt à sa rencontre, lui met sur les genoux vingt-cinq mille roubles en billets de banque, et s’enfuit sans même dire son nom. L’empereur n’a point voulu accepter ces offres généreuses, et le palais a été rebâti en quelques mois tel à peu près qu’il était autrefois, avec ses parquets de différentes couleurs, pareils à des mosaïques, ses petits appartemens frais et mystérieux, ornés de colonnes de malachite, de meubles en lapis-lazuli, ses grandes salles de réception éblouissantes de splendeur, celle-ci dorée du haut en bas comme une image byzantine, celle-là revêtue du plus beau marbre. Une de ces salles est consacrée à la mémoire de Pierre-le-Grand, une autre à celle d’Alexandre. On aime à voir dans la demeure d’un souverain se perpétuer ainsi le souvenir de ses prédécesseurs les plus illustres ; ils sont là auprès de lui comme les génies protecteurs de sa maison et de ses états. L’hommage qu’il leur décerne est comme un engagement qu’il prend d’imiter leur courage ou leur vertu, et, dans des circonstances difficiles, leur aspect peut lui inspirer d’heureuses pensées. Deux autres salles sont couvertes des portraits de tous les généraux qui ont fait la mémorable campagne de 1812, et de tous les maréchaux de l’empire russe. C’est là que j’ai vu pour la première fois un portrait de Potemkin. C’était un homme d’une taille colossale et d’une figure charmante, étonnant tout à la fois par la force de ses membres et la douce expression de ses yeux, bleus, vraiment fait pour commander une armée de Cosaques et troubler le cœur d’une femme. Tous les meubles, les ornemens précieux qui décoraient l’ancien palais, avaient été sauvés des flammes ; ils décorent aujourd’hui le nouvel édifice. Il y a là des pyramides de vases d’or et de vermeil offerts à l’empereur et à son fils par les différentes villes qu’ils ont visitées ; dans la chapelle, des images chargées de rubis, de diamans, d’émeraudes ; et le Petit Hermitage conserve la riche galerie de tableaux admirée de tous les connaisseurs.

S’il y a, comme nous l’avons dit, peu de véritable sentiment de l’art dans les constructions de Pétersbourg, cet état de dénuement et de médiocrité ne durera pas long-temps, nous osons le croire. L’empereur et les princes aiment les artistes, ils les accueillent avec distinction et les paient largement. Quand on sera moins pressé de bâtir, on fera à Pétersbourg des constructions d’un meilleur goût, on ornera les places publiques, les édifices, de monumens vraiment mémorables. En attendant, j’aimerais mieux revoir les rues étroites de Rouen ou de Nuremberg que les larges avenues de cette immense ville.

Je dois noter pourtant deux quartiers qui font à juste titre l’orgueil des habitans de Pétersbourg et charment constamment l’étranger : c’est le quartier