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la permission d’aller dans la chambre voisine chercher sa future épouse, qui, pendant ce temps, est restée seule à l’écart. Les fiançailles se célèbrent ordinairement dans le cimetière : est-ce une idée philosophique qui amène là le jeune couple ? est-ce une pensée religieuse ? Les deux fiancés, en échangeant leur anneau sur la demeure des morts, doivent-ils abaisser leurs regards vers la terre et se dire que là est le terme de toutes les joies humaines, ou les élever vers le ciel et songer à ces régions éternelles où ceux qui se sont aimés dans ce monde se réunissent un jour pour ne plus se quitter ?

Quand cette première cérémonie est accomplie, la fiancée s’en va avec une femme, qui est son interprète, faire une tournée dans la paroisse. L’orateur féminin prend la parole et appelle la sympathie de ses auditeurs sur celle qui bientôt quittera son heureuse vie de jeune fille pour se dévouer aux soucis, aux anxiétés d’épouse et de mère, et chacun alors lui apporte son offrande. Celui-ci lui donne de la laine pour tisser ses vêtemens, cet autre quelques ustensiles de ménage, ou du linge, ou une pièce d’argenterie. C’est là le complément de sa dot, l’humble trésor qu’elle recueille avec joie et reconnaissance, car à chacun de ces modestes présens est attaché un vœu du cœur, un sentiment d’affection. Les jeunes filles riches font aussi cette collecte nuptiale ; si elles n’ont pas besoin des dons qui leur sont offerts, elles aiment pourtant à placer autour d’elles, dans leur nouvelle demeure, ces dîmes volontaires de l’amitié, comme des égides protectrices ou des amulettes.

Les noces se célèbrent avec une grande pompe. Tous les parens et amis y sont invités à plusieurs lieues à la ronde. La mariée apparaît au milieu des convives avec une couronne dorée qui ne lui appartient pas ; elle l’emprunte le matin et la rend le soir. N’est-ce pas un touchant et mélancolique symbole du bonheur qui brille aujourd’hui sur un front riant et demain répand ses lueurs célestes sur un autre visage ? À la fin du dîner, la mariée s’avance comme une walkyrie des temps anciens, et verse elle-même la bière à tous les convives ; puis on lui fait encore de nouveaux présens pour la remercier de son hospitalité, et elle quitte la maison de ses parens pour entrer dans celle de son époux.

Dans quelques paroisses, on croit que les morts s’éveillent de leur long sommeil trois fois par an, aux grandes fêtes qu’ils sanctifiaient pendant leur vie au sein de leur famille, à Noël, à Pâques et à la Saint-Jean. Ces jours-là, leurs proches parens déposent sur leur tombe des jattes de lait, des pâtés de poisson vulgairement appelés dans le pays pirogues, afin qu’en soulevant la terre qui couvre leur cercueil, ils retrouvent un souvenir des fêtes qui les réjouissaient et des êtres aimés qui les célébraient avec eux.

Après avoir vu et revu les casernes de Viborg, visité son église grecque pleine d’images et de dorures, parcouru ses environs, qui sont très beaux et très pittoresques, causé tour à tour avec le fonctionnaire et le marchand, l’officier et le bourgeois, il fallait cependant songer à continuer ma route vers Pétersbourg, et ce n’était pas un petit problème. L’unique diligence qui existait ici il y a quelques années a cessé ses voyages, et l’on invoque en