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DE LA POÉSIE FINLANDAISE.

réunir assez étroitement pour en faire un ensemble homogène. Ils ont été, pendant des siècles, méconnus, ignorés par ceux qui auraient pu les recueillir et leur donner quelque fixité[1]. La tradition seule les a transmis d’une génération à l’autre, et l’on conçoit sans peine que cette tradition, venue des contrées de l’Orient, implantée dans les contrées méridionales de la Scandinavie, puis refoulée vers le nord, puis attaquée et proscrite par le christianisme, et ne se conservant que dans des habitations éloignées l’une de l’autre, ait été altérée, disloquée par le temps, par les circonstances, par l’isolement.

Toute cette mythologie, qui a été celle de plusieurs autres peuplades provenant de la même souche, émigrant par la même route, celle des Lapons notamment et des Hongrois peut-être, ressemble maintenant à une médaille effacée en plusieurs endroits, brisée en plusieurs morceaux, ou, si l’on aime mieux, aux membres d’Osiris séparés l’un de l’autre, répandus dans les champs, dans les sables du désert et le long des fleuves. L’idée la plus saisissable qu’elle exprime est le culte de la nature, tel qu’il existe chez les peuples primitifs, l’adoration panthéistique des élémens, le principe de fécondité et de reproduction.

Le dieu suprême des anciens Finlandais est Jumala, le maître des nuages et du tonnerre : d’autres disent Wæinemœinen, le dieu des vers et de l’harmonie. Kawa le géant, après avoir dormi trente ans dans les entrailles de sa mère déchire lui-même le sein qui l’a porté, et en sort le casque en tête et la cuirasse sur la poitrine. Il enfante des filles qui portent des montagnes dans un des plis de leur robe, et douze fils qui étonnent le monde par leur force. L’un de ces fils est Wæinemœinen, un autre Ilmarinen, le roi des vents, du feu, de l’eau, le forgeron par excellence. Au-dessous de ces divinités premières sont les dieux qui régissent une des parties de l’univers. Tuopio est le maître des bois, Akti des lacs, Tuoni de la mort. Kauna règne sur les tombeaux. Sarakka préside aux enfantemens. Plusieurs nymphes dirigent le cours des étoiles, d’autres celui des vents, d’autres celui de la lune. Une quantité d’esprits bienveillans ou mauvais habitent les montagnes, les vallées, les fleuves. Le ciel est représenté comme une immense demeure partagée en neuf régions, couverte de neuf toits, sous lesquels repose le dieu suprême. Le soleil est la tête du dieu, qui apparaît au-dessus de ces toits dorés. Le soir, il se retire de sa lucarne, et de là vient l’obscurité.

Trois puissantes jeunes filles représentent les forces de la nature ; l’une d’elles fait jaillir de son sein un lait noir, la seconde un lait blanc, la troisième un lait rouge. Le lait de la première était le fer brut, celui de la seconde le fer en barre, celui de la troisième l’acier. Un bœuf est né dans la Carélie.

  1. L’ouvrage le plus ancien que je connaisse sur cette mythologie est une dissertation imprimée à Upsal en 1728, sous le titre de : De religione et origine Fennorum. En 1782, Lencquist en publia une autre, intitulée : De superstitione veterum Fennorum, et, en 1789, Gannander écrivit sa Mythologia fennica, vocabulaire de noms et de faits beaucoup trop court.