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pierre et séparées l’une de l’autre. Abo occupe à présent un espace aussi vaste que la ville de Dresde, et ne renferme pas plus de douze mille habitans ; ses places, ses rues si larges semblent désertes, et le mouvement de son port est presque nul. La réunion de la Finlande à la Russie n’a pas seulement privé cette ville de son autorité administrative, de ses établissemens scientifiques ; elle a comprimé et presque paralysé son commerce. Autrefois Abo exportait librement en Suède tous les produits de la province dont elle est le chef-lieu et de quelques autres provinces voisines. Cette exportation est maintenant entravée par la douane suédoise, qui la traite comme une ville étrangère et la soumet à un rude tarif. Elle ne peut guère se tourner du côté de la Russie, car elle n’y porterait d’autres produits que ceux que la Russie possède déjà elle-même. Il faut donc qu’elle cherche ailleurs un débouché, et jusqu’à ce qu’elle l’ait trouvé, elle languira.

Les deux édifices situés aux deux extrémités de la cité, l’observatoire et le château, qui annonçaient autrefois de loin sa splendeur, sont aujourd’hui comme deux monumens de sa décadence. Les instrumens et les calculs de l’observatoire ont été transportés à Helsingfors. Le château, aussi ancien que la ville même, était jadis regardé comme l’une des forteresses de la Finlande ; plus d’une fois il arrêta l’invasion des Russes et résista aux attaques des divers partis politiques qui, aux XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles, se disputaient le gouvernement de la Suède. C’est dans ce château que le malheureux Éric XIV, dépouillé de son sceptre, fut enfermé quelque temps pour s’en aller ensuite mourir à Orebyhus. Aujourd’hui cet édifice, illustré par tant de traditions, est occupé par une garnison de deux cent cinquante hommes et par des prisonniers.

J’ai plus d’une fois, dans le cours de mes voyages, visité les hospices, les prisons et tout ce qu’on nomme si généreusement les institutions de la justice humaine et les établissemens de bienfaisance ; jamais aucun de ces douloureux refuges du vice et de la misère ne m’a fait autant de peine à voir que celui d’Abo. Le gouverneur de la citadelle, prévenu de notre visite, avait, selon les usages russes, ordonné des préparatifs cérémonieux pour nous recevoir. À notre arrivée, nous trouvâmes la garde sous les armes ; le concierge vint nous ouvrir la porte, revêtu de son uniforme ; un officier et un chapelain marchaient devant nous, suivis de deux gardiens portant des flambeaux, car en plein jour même les chambres que nous allions parcourir sont complètement obscures. Les prisonniers étaient debout rangés comme des soldats le long des murailles ; il y en avait de vieux coupables de récidive et déjà endurcis, qui cependant nous regardaient avec une visible émotion, d’autres tout jeunes qui venaient de faire le premier pas dans la voie fatale et qui baissaient la tête à notre approche. Cette prison renferme les hommes jugés par le tribunal de la province pour un grave délit et qui attendent de l’empereur la confirmation de leur sentence. Les plus coupables sont envoyés en Sibérie, d’autres condamnés aux travaux forcés dans la forteresse de Sveaborg ; quelques-uns achèvent à Abo leur temps d’incarcération. L’état leur donne le