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efforts, et Guyon s’est particulièrement distingué dans le rôle de Chilpéric. Mais revenons à Mlle Rachel, puisqu’aujourd’hui c’est elle qu’on met en cause.

Certes, on ne saurait trop applaudir à l’intelligente énergie que déploie depuis quatre ans cette jeune fille pour arriver aux dernières limites de son art. Eh bien ! malgré l’intérêt que devraient inspirer ses études à quiconque fait profession d’aimer les lettres et le théâtre, les attaques injustes et violentes ne lui ont pas manqué. Mlle Rachel a contre elle tous ceux qui ont été dépités de voir que cette poésie de nos vieux auteurs qu’ils prétendaient enterrer était capable d’avoir encore si bon visage. Puis elle est en butte également aux traits d’un certain esprit que je ne sais trop comment définir, quoiqu’il ne soit pas nouveau dans la littérature, et qu’il me fût très facile de nommer ceux qui en ont été les représentans. C’est un esprit qui, en se dégageant de tous les principes innés du jugement, parvient à la surprenante agilité que les bateleurs doivent, dit-on, à la fracture de leurs nerfs articulaires ; c’est un esprit qu’on accuse souvent d’être envieux et méchant, et que je crois tout simplement porté aux agressions taquines contre les réputations consacrées par l’attrait qu’il trouve aux tours périlleux. De pareilles attaques doivent-elles effrayer la jeune tragédienne ? Nous ne le pensons pas. On est bien fort quand on n’a contre soi que la haine intéressée du beau et l’amour irrésistible du paradoxe.

Un mot encore, pour terminer, sur un reproche qu’on a fait souvent à Mlle Rachel. On la blâme de sa prédilection pour les œuvres abandonnées ; on lui conseille de laisser là ses pieuses excursions dans le monde des morts pour s’attacher à quelque fortune vivante dont elle contribue à pousser le char. Nous ne prétendons certes point lui interdire le contact avec les poètes de l’époque, s’il en est dont le génie soit de nature à s’accorder avec son talent ; mais nous ne saurions qu’approuver sa prudente réserve. Et puis, faut-il le dire, il y a quelque chose qui nous plaît dans l’indépendance où elle s’est mise du suffrage intéressé des coteries. Elle est, parmi toutes les actrices dont la vie nous soit connue, la seule qui n’ait pas associé la vogue à sa célébrité. Il n’est rien dans sa gloire qu’elle n’ait conquis par son seul amour de l’art. Dans la réputation de la Champmeslé, on trouve les soupirs de Racine ; dans celle de la Gaussin, on trouve les épîtres galantes de Voltaire. L’éclat qui entoure Mlle Rachel n’est dû qu’à ses nobles et patiens efforts.


G. de Molènes.

V. de Mars.